Grotte du Banquier

(=Event de Rieussec;

= Baumanièira)

Larzac Sud, Commune de Saint-Etienne de Gourgas

Situation géologique: hettangien.

 

1. Un site hanté par les redoutables fées ... mais quel est son vrai nom?

 

Le passé mythique de l'exsurgence de Riu-sec dite "Baumanièira" nous a été détaillé par le pionnier Paul Rudel, natif de Saint Etienne de Gourgas.

La légende locale qu'il nous a rapportée y situait l'habitat de fées redoutables. Ainsi, semble-t-il, ce lieu était-il supersitieusement évité des anciens habitants du lieu. Généralement de tels interdits ancestraux traduisent le souvenir de mythologies antérieures au christianisme et fréquemment rattachées aux sources. Les fées correspondaient, semble-t-il, au départ, à une caste sacerdotale gauloise ("fatidica" ou "vates" pour les auteurs latins). Dans la région du Larzac Sud et du Causse de Blandas on sait même qu'elles étaient vêtues de rouge: on les appelait "las enrojadas".

Les fées de la grotte de Riu-sec n'étaient guère sympathiques à ce que rapporte dans sa lettre Paul Rudel (Mai 1975): "Las Fadas ou fées étaient au sens des anciens des êtres redoutables, minotaures cruels, ou bien Antinéa tentaculaires et sanguinaires qui immolaient les imprudents, les curieux ou bien leurs amants après usage..."

Nos collègues lodévois contestent le toponyme de Baumanièira que m'avait transmis Paul Rudel et qu'il m'avait confirmé (cf. plus bas des extraits de ses lettres). Je dois préciser que Rudel était non seulement parfaitement occitanophone comme tout caussenard de sa génération, mais de surcroît lettré en matière de langue d'oc, allant jusqu'à déchiffrer de vieilles archives en occitan médiéval pour ses recherches historiques. Je crois donc qu'on peut lui faire confiance et qu'il n'est pas indiqué de corriger plus prosaïquement en "bauma negra". Rappelons nous que l'occitan est une langue plus sophistiquée que le Français (seuls les cuistres ricanants de la presse "Régionale" s'entêtent à l'ignorer...), capable de créer des mots de façon tout à fait régulière à l'aide d'un système souple et très puissant de préfixes et de suffixes.

Que veut dire "Baumanièira"? On retrouve ce toponyme à plusieurs reprises sur le Larzac, dans le secteur de la Couvertoirade. Le dictionnaire de Mistral donne deux toponymes provençaux relativement homophoniques: "bauç manièra "= "rocher accessible" et "vau manièra" = vallée facile d'accès. Ces deux étymologies ne décrivent en rien le site où s'ouvre le Banquier, qui est assez escarpé et sauvage. En fait la construction à deux suffixes bauma+anha+ièr, ièira est tout à fait régulière en occitan. Elle traduirait un lieu où se trouvent de vastes cavités un peu inquiétantes, -anha étant un augmentatif péjoratif et -ièr pouvant indiquer les lieux où l'on trouve certaines choses ou certains animaux (lobièira pour les loups, argentièra pour le minerai d'argent...). Baumanhièira est donc un toponyme rare et "précieux" mais sans surprise. Etant donné la référence antique aux fées, il y a peut-être cependant une réinterprétation d'un toponyme celtique ou préceltique.

"Le Banquier", de son vrai nom Alfred Bertrand, né et habitant à cette époque à Gourgas, tenait alors un restaurant-dancing dans ce village à l'enseigne pompeuse du "Prince Carles". Il hébergea MM de Joly, Fontanilles et le Dr Cabane et nous offrit un plantureux repas à l'issue des explorations.

Je ne sais si ceci est en rapport avec la nouvelle appellation de la grotte de Rieu-Sec" [Paul Rudel, lettre du 26 Mai 1975].

2. Le premiers explorateur de la grotte: Paul Rudel

Paul Rudel (ci-dessous)

Nous avons rencontré en 1973 Paul Rudel. A la suite d'un article paru dans le Midi Libre qui relatait le pompage et les 3200m de première il nous avait écrit une longue lettre captivante et émouvante. Sa biographie pourrait constituer un roman. Il y a d'ailleurs rédigé à compte d'auteur une petite plaquette absolument passionnante (ci-dessous).

Paul Rudel, dans les années 30, était garde de la forêt de Parlatges. Il conduisit de Joly à cette grotte, qui d'après ses observations, quoique temporaire, est la plus importante exsurgence du cirque lors des forts orages. La grotte du Banquier cessait d'appartenir à la mythologie et rentrait dans le domaine de la spéléologie.

3. La situation

L'entrée principale est située en tête du principal affluent de rive gauche du ruisseau de Rieussec à 60m de son confluent avec celui-ci (685,057-165,339-448m). Une entrée supérieure plus commode a été ouverte dans les années 30 par Paul Rudel, aprés l'exploration initiale de R. de Joly, et se trouve sous le chemin forestier venant du saut de la Lauze, 15m au dessus de l'entrée initiale.

4. L'Historique

Paul Rudel nous écrivait le 26 Mai 1975: "je vais essayer de vous conter quelques souvenirs relatifs aux grottes de Gourgas et à leurs légendes, et l'exploration qui eut lieu en 1933 avec le concours de M R. de Joly celui qui était à cette époque l'actif président du Spéléo-Club de France.

Plusieurs grottes et résurgences furent explorés, l'aven dans le ravin du même nom, la Baouma del Duc mais tout particulièrement la résurgence temporaire de Riou-Sèc (rivière sèche) la grotte dite du Banquier, celle que dans le pays on appelait "Baoumanieïra".

Elle était connue comme la plus profonde [et] la plus mystérieuse tant par les braconniers que par les premiers reboiseurs de ces versants abrupts et d'accès difficile, car à l'époque les sentiers forestiers de surveillance n'existaient pas. J'en connaissais bien moi-même la situation pour avoir participé tout jeune à des travaux de réfection ou d'échenillage dans la forêt renaissante. C'était l'époque où à 12 ou 13 ans après les études primaires nos parents nous mettaient au travail.

Comme toutes les grottes ou cavernes celle de Rieussec - "Baoumanieyra" - avait sa légende. C'était selon les dires des anciens un redoutable repaire de fées "lou Traou dé las Fadas".

Gardez vous d'y entrer, nous disaient-ils car tous ceux qui y ont pénétré n'en sont jamais revenus. Et nous les jeunes, ne manquions pas d'écouter les conseils de ces prudents oracles.

Je devais plus tard, ayant été nommé garde forestier et responsable de la forêt domaniale de St Etienne de Gourgas, revoir les grottes et les résurgences du fond de ce cirque dit du Bout du monde. J'avais pensé qu'il serait utile d'en signaler l'existence à M r Robert de Joly: et c'est dans le cours de l'été 1933 que j'avais conduit à Rieu-Sec le président du spéléo-Club de France ainsi que le Docteur Cabanes de Montpellier et Mr Fontanilles pharmacien à Agde.

L'exploration dura plusieurs heures, elle nous conduisit dans une salle occupant le fond d'une galerie où nous perçumes un courant d'air chaud provenant d'une paroi. Nos voix ayant été entenduespar les gens demeurés sur le sentier à l'extérieur, ce point fute repéré. Et c'est là que sur le conseil de M. de Joly j'ouvris moi-même à l'aide du pic et de la mine un passage suffisant pour pénétrer plus aisément dans la grotte en vue de prospections futures.

A défaut de "Fadas" nous avions trouvé au cours de nos investigations dans ce labyrinthe d'innombrables stalactites et stalagmites d'un remarquable effet. Je sais que tout cela a été depuis fracassé, emporté par des vandales. Ce qui est bien regrettable. [...]

Une entrée supérieure plus commode a été ouverte dans les années 30 par Paul Rudel, aprés l'exploration initiale de R. de Joly, et se trouve sous le chemin forestier venant du saut de la Lauze, 15m au dessus de l'entrée initiale.

Du 10 au 18 Août 1974 pompage GERSAM à 400m de l'entrée (200m de tuyaux, 1500 m3 d'eau) donnant 3200m de galeries post-siphon.

 

5. La Description: ce que nous écrivions en 1974...

(tiré du Bull GERSAM N°6 pp 27-30)

GROTTE DU BANQUIER (=de RIEU SEC ou BAUMANIEIRA)

Commune:St Etienne de Gourgas (Hérault) IGN XXVI 42 "le Caylar 5-6" Coordonnées Lambert: X= 685,06 Y=165,35 Z=440m environ. Situation géologique : Hettangien dolomitisé.

DESCRIPTION SOMMAIRE

1) Première partie

Bien connue et déjà décrite,elle se développe sur environ 8OOm (1). Elle comprend deux parties:vers l'E la galerie principale ou Galerie-évent explorée par R. de JOLY en Juillet 1933 [2] ; vers le Sud un important diverticule la Galerie Nourrit [3] longue de 400m et se terminant sur trou souffleur puissant. La galerie principale possède deux entrées et adopte les directions successives N S, W E, NNW SSE, puis enfin WSW ENE pour aboutir aprés 390m à un siphon profond alimenté par une cascatelle pérenne au NE.

2) Les Parties Nouvelles (Réseau GERSAM 1974)

Le pompage du siphon le 11 Août 1974 nous a permis de les voir sur 3200m sans pouvoir achever leur exploration [4].

Long de 40m et profond de 10m, le bassin siphonant donne accés au SSE une série de lacs dans une diaclase NNW SSE 50x4x7m qui oblique ensuite vers l'E.

Vers le Sud, la galerie des dents qui claquent prolongée au SW par l'étroiture de la diarrhée donnant accés à la salle du frigo 8x4x6ht permet d'accéder après 54m à une cheminée délicate. Celle ci conduit au réseau de la figure égyptienne, suite de méandres étroits de topographie complexe vue sur 200m et où un fort courant d'air aspirant semble indiquer une relation avec le trou souffleur de la galerie Nourrit ??

La série des lacs se termine à 480m de l'entrée par un ressaut de 2,5m immédiatement suivi d'une bifurcation: au NE une galerie 4x5 de 60m aboutit à la Salle du Chaos 18x8x5.

au N une dérivation labyrinthiforme : le réseau de la trotinette hypocrite d'un développement de 176m, section moyenne 3x4, rejoint la partie N de la salle du chaos.

La salle du Chaos (à 540m de l'entrée) se prolonge au S par une grande diaclase chaotique N 1/4NE S 1/4SW, rectiligne sur 110m. D'abord vaste elle s'étrangle par la suite (2x5) pour donner après un passage sur la zone complexe du Labyrinthe, (400m de galeries d'érosion se recoupant en tous sens).

A l'extrêmité E de ce Labyrinthe une galerie SW NE de 70m, non ramifiée, type ''conduite forcée" 3x2, mène au lac des bottes gauches, profond de 4m et long de 10m, immédiatement suivi à l'E NE d'une autre laisse donnant une bifurcation.

vers le NE la galerie du Borborygme rejoint après 200m un puits de donnant sur le lac des bottes gauches.

vers le S, puis le SSW, une galerie de plus en plus érodée conduit 40m au Point 1040m qui constitue un carrefour important.

Galerie de la Panthère Rose

Au SW, elle se développe sur 304m avec un seul diverticule, insignifiant, de 4 mde long. Nous la diviserons schématiquement en quatre parties:

1) un alignement NNE SSW de salles disposées en entonnoir d'absorption et où d'importants dépôts d'argile peuvent faire penser à un rôle périodique de bassin de décantation. Aux points bas de légers trous souffleurs pourraient indiquer un réseau inférieur?

2) un "fleuve d'argile" fortement remontant dans une galerie NNE SSW 100x3x2 présentant au plafond trois cheminées avec salle en contrehaut. Nous y avons observé le 18 Août que le courant d'air s'y inverse toutes 80 secondes avec une extrême régularité dont la cause reste encore à déterminer.

3) une série de salles sèches horizontales avec aven remontant et cristaux d'aragonite.

4) une diaclase rectiligne de 120m N S se terminant par une trémie au contact des bancs instables du Sinémurien (?) sus jacent.

Grande Galerie.

Se dirige vers L'E avec de fréquents changements de direction.Longue de 550m, ses dimensions vont en croissant.Elle garde dans l'ensemble une section carrée. La largeur varie de 6 à 14m,la hauteur de 5 à 21m. Nous y avons topographié 124m de diverticules sans grand intérêt, caractérisés par de gros dépôts d'argile alors que le conduit principal est pratiquement nu.

La grande Galerie se termine à l'E sur un bassin d'eau 5x5 constituant lo siphon amont, à 1600 m de l'entrée de la cavité. La voûte dépasse ici 20m. On y observe une salle latérale 20 x 20 x 12ht due à l'érosion.Tout semble indiquer que ces portions du réseau sont fréquemment inondées en totalité.

Galerie du Glutier solitaire

Son départ se situe dans la grande galerie, 150m avant le siphon amont. Se dirige vers le N et nous l'avons vue sur 650m. Son exploration n'est pas terminée.

Une galerie comparable à la précédente, d'abord SN sur 60m, puis SW NE sur 40m, se termine sur un passage entre gros blocs. Deux salles 25x25x15ht suivies du lac du petit Baigneur mènent à une grande diaclase longue de 100m et très accidentée (puits de la semelle tranchée profond de 25m en 2 ressauts). La diaclase du Simoun (trés violent courant d'air) mène après le laminoir du Cairn,à la salle 25x15 du Glutier solitaire où une continuation, difficile à trouver sur remontée, donne sur un puits trés étroit: l'étroiture de Monsieur Seguin. Elle donne sur la galerie du Gouroux, rectiligne sur 180m S N. Un ruisselet pérenne y serpente sur 50m (14 VIII 74). Après une petite laisse (le gour Roux, terminus d'une pointe) on parcourt e 130m vers le NNE dans un conduit chaotique à la morphologie trés tourmentée.

Conclusion

A plus de 2 000 m de l'entrée, un puits vertical non descendu marque le terminus 1974. Un violent courant d'air laisse supposer que celui ci n'est que provisoire. D'ores et déjà cette grotte, la plus importante des Causses Majeurs stricto sensu avec ses 4000 m, prend place au 8e plan ds cavités de cette région,aprés:

Bramabiau 11000m

Trabuc 7500m

Rogues 6000m

Véronique 4400m

Malaval 4300m

Rognès 4260m

Clamouse 4200m

La grotte du Banquier constitue un nouvel exemple, assez spectaculaire, de l'importance des phénomènes karstiques dans la série aquifére inférieure des Grands Causses,et illustre parfaitement les conclusions générales de H SALVAYRE [5] sur le double rôle directionnel et accumulateur qu'y jouent les diaclases, et que nous avons pu observer à grande échelle dans massif exceptionnellement fissuré du fait de sa situation. L'importance de la galerie N (réseau du Glutier Solitaire) qui se développe sous la série Aalénien Toarcien Domérien supposée imperméable apporte un élément nouveau d'une importance capitale dans l'étude de la bordure S du Larzac.

Références bibliographiques se rapportant au texte.

[1] H.PALOC 1972 Carte hydrogéologique le la région des Grands Causses, notice explicative; p.66 (sous le N°(962)101)

[2] Anonyme J0LY) 1933 Compte rendu sommaire des explorations faites par divers groupes du Spéléo club en 1933. in: Spelunca bull.S.C.F.,N°IV,1933,, p 78 et 79.

[3].Anonyme (R.ROUX) 1967 "le cirque de Gourgas, in Bull.GERSAM, 1 N°1,1967.

[4]. Anonyme (J.F.Brun) 1974,"Quatre kilomètres sous le Larzac". article d'information paru dans "midi Libre" du Jeudi 26 X 74.

[5] H.SALVAYRE 1966 Géologie, climatologie, hydrologie superficielle et souterraine de la région méridionale des Grands Causses(Larzac et bordures, Aveyron, Hérault) Thèse non soutenue à Montpellier, document provisoire, B.U.de Montpellier section sciences, réf.T.S.BOR.1969 31 (2).

6. Que s'est-il passé depuis 1974?

 

Notre projet de "tunnel du Banquier" pour court-circuiter le siphon n'aboutit pas, pas plus que des tentatives de siphonage à moindre côut.

En Septembre 1978 le siphon de la galerie Nourrit est plongé par le GERSAM. Aprés 10m de voûte mouillante 40m de galerie amène à un bouchon d'argile. Simultanément le S2 à 1210m du S1 est tenté. En Novembre 1981, le S2 (180m, -6) est franchi. De grosse section (6 à 8x5) il donne sur 70m de galeries aboutissant à un S3.

De façon amusante, les récents "interclubs" organisés pour continuer l'exploration du Banquier ont pris soin d'exclure le GERSAM, malgré la place que ce club avait prise dans l'exploration de la cavité... Il y a eu quelques explorations en post-siphon qui ont un peu prolongé la cavité.

En 2001 le Banquier est crédité de 5096m topographiés et 1050m non topo, auxquels se rajoute le réseau Pirate long de 288m.  

Une mise au point récente mérite d'être citée:

J Camplo et A Vieilledent. Grotte du Banquier. In TINDERLE Bull de Liaison du Groupe Spéléologique du Languedoc, Décembre 1999, pp 41-48

Additif. En 2004 on trouve sur une liste très précise à jour de Décembre 03 "Grandes Cavités du Languedoc-Roussillon" la Grotte du Banquier (Hérault-Saint-Etienne-de-Gourgas) créditée de 9 662m et sa dénivelée est évaluée à  -117/+33. soit 150 m.(site CLPA).