Félix Mazauric
RECHERCHES SPÉLÉOLOGIQUES DANS LE DÉPARTEMENT DU GARD 1904-1909
Spelunca VIII, N°60, Juillet 1910
INTRODUCTION
Poursuivant l'exploration méthodique des diverses régions calcaires du département du Gard, nous avons consacré ces dernières années à étudier les environs de Mialet, Saint-Hippolyte, et surtout le Causse Larzac (région du Gard), si célèbre par son aridité ! La présence de grands lacs souterrains, couvrant d'immenses espaces sous la surface des Causses, paraissait une hypothèse assez admissible avant les explorations de Martel. Malheureusement, l'observation ne l'a pas confirmée. Au Larzac, comme partout ailleurs, nous n'avons jamais pu constater 1"existence de grands réservoirs internes. S'il est vrai que les eaux pluviales peuvent parfois s'accumuler dans l'épaisseur de la masse calcaire et y atteindre un niveau relativement élevé, il faut reconnaître que ces fentes étroites, ces galeries et tunnels dont la largeur ne dépasse jamais une vingtaine de mètres, méritent fort peu le noms de lacs que nous leur donnons souvent avec une exagération dont il ne faudrait pas être dupe. Le seul nom qui leur convienne, en réalité, est celui de rivières souterraines : rivières se formant à l'intérieur même du sol par les mille apports des avens absorbants, ou bien rivières pénétrant toutes formées dans l'épaisseur de la masse calcaire et capables de recevoir elles-mêmes de nombreux affluents souterrains. Avec quelques variantes de détail, tels sont les faits que nous exposons ci-dessous. Qu'il s'agisse de rivières anciennes ou modernes, partout nous constaterons l'action de l'eau courante comme agent principal de la formation des avens et des grottes. Pour les dérivations tertiaires et quaternaires, à défaut de cours d'eau depuis longtemps disparus. nous pourrons constater du moins la présence de nombreuses alluvions anciennes dont les dépôts siliceux constitueront pour nous le témoignage irréfutable de l'origine lointaine des rivières qui les ont charriés.
1. LE LARZAC ET LES ORIGINES DE LA VIS.
1) DESCRIPTION SOMMAIRE.
Pour celui qui veut embrasser d'un seul coup d'œil toute l'étendue de l'immense causse du Larzac, je ne connais pas de meilleur poste d'observation que le sommet du Saint-Guiral, à 1349 mètres d'altitude. A l'extrémité d'un rameau détaché du massif de l'Espérou, cette montagne forme comme une sentinelle avancée d'où la vue s'étend sans obstacle, à l'Ouest et au sud, sur toutes ces mornes tables calcaires. Ce belvédère est si majestueux qu'il fut de tout temps un centre d'attraction pour toutes les populations environnantes. Il y a peu d'années encore, des milliers et des milliers de personnes se rendaient là tous les ans pour assister à d'étranges cérémonies dont le caractère rituel doit être une survivance d'antiques coutumes païennes. Vus ainsi de très haut, nos pauvres causses paraissent presque uniformes. En réalité, ils portent les traces de nombreux ravinements qui témoignent d'une phase très active d'érosion superficielle. L'altitude générale varie de 650 à 900 mètres. Ce qui frappe surtout, aujourd'hui, c'est l'absence de toute végétation. S'il est vrai comme le prétend un dicton populaire qu'on pouvait autrefois traverser le causse d'un arbre à l'autre sans toucher terre, il faut reconnaître que tout a bien changé depuis ces heureux temps : le petit bois de Salbous, sur les pentes de la Virenque, serait le seul témoin de cette luxuriante végétation. Ce n'est point que la terre végétale fasse défaut : nombreuses sont partout les couches d'alluvions anciennes. Mais l'homme s'est livré ici à une oeuvre insensée. Le déboisement à outrance a causé la mort du pays. Sur le plateau de Campestre, notamment, c'est aujourd'hui la soif dans toute son horreur. En plein mois d'août, lorsque toutes les citernes sont épuisées, la vie devient littéralement impossible et rien ne justifie mieux le cri d'alarme poussé par notre ami Martel dans son étude sur la " marche à la lune ". Le Larzac constitue comme une sorte de détroit jurassique, à travers les Cévennes primitives, reliant le bassin méditerranéen à la grande mer des Causses. Vers le centre, la Vis est parvenue à creuser une étroite fissure de 3 à 400 mètres de profondeur! Ses deux branches-mères délimitent fort nettement les tables calcaires de Campestre et de Blandas, objet principal de cette étude. Des pentes granitiques et schisteuses du Saint-Guiral se précipitent vers le sud une infinité de petits ruisseaux dont la réunion constitue les deux rivières d'Alzon et de Sauclières, qui coulent pendant quelque temps au milieu de verdoyantes prairies. Mais leur vie n'est qu'éphémère- à peine au contact des assises calcaires, les voilà qui disparaissent brusquement en des abîmes inconnus. Et c'est alors l'abomination de la désolation! Pendant des kilomètres et des kilomètres, la gorge immense se poursuit étroite et profonde, mais dans un silence de mort. Un peu en amont de Vissec, les deux canyons du Vissec et de la Virenque confondent leurs cailloux et, bientôt après, des bouleversements dans le lit de la rivière font pressentir une importante modification dans le cours de celle-ci. Tout à coup, des entrailles du sol, une masse d'eau prodigieuse s'élève en bouillonnant et se répand en cascades écumeuses avec un bruit formidable. C'est la Foux, une des sources ou résurgences les plus pittoresques de nos causses cévenols. Désormais la vie renaît au fond de l'étroit canyon et nous verrons la rivière aux flots verdâtres dérouler ses interminables lacets entre deux énormes murailles calcaires. A la base, règnent les dolomies brunâtres, épaisses souvent de près de 100 mètres. En haut flambent au soleil les falaises colorées du jurassique supérieur. Entre les deux, un vertigineux talus à stratification régulière, forme comme les marches d'un escalier gigantesque. Naguère encore le colossal cratère de Navacelle était la plus étonnante merveille de notre région; depuis l'installation d'une prise d'eau, elle a quelque peu perdu de son originalité. A partir de ce point jusqu'à Madières, le canyon était à peu près ignoré avant notre exploration. Les parois en sont tellement rapprochées et tellement escarpées qu'on ne peut l'aborder qu'en un seul point, au Mas del Pont, par un escalier de 1000 marches ! Et cependant que de féeries accumulées par la nature ! Partout des assises prodigieuses, des abris, des grottes, des sources jaillissantes et des coulées de tuf. Mais la merveille, non décrite encore, est la puissante Follatière, rivière souterraine dont le porche n'a pas moins de 50 mètres de hauteur. Aux jours d'orage, tout un fleuve impétueux s'échappe par son ouverture des profondeurs mystérieuses du Causse de Blandas. Presque en face, les eaux de Saint-Maurice sont ramenées au jour par les deux évents du Gournioou et du Gournieyras. A Madières, une importante faille transversale livre passage à l'ancienne voie romaine du Vigan à Lodève. Le pauvre hameau ne peut tenir au fond de la crevasse et ses maisons chevauchent les unes sur les autres. A droite et à gauche on distingue des ruines de châteaux sur des pointes de rochers ! Quelques pans de murs sur une aiguille sont tout ce qui reste d'un ancien repaire de brigands, détrousseurs de grands chemins. Voici ce que nous apprend une vieille chronique de Montpellier, fort éloquente dans son laconisme : " Et en aquel an (MCCXVII) prezeron, li homes de Montpellier, Madieyras que son en Larzac, et deroqueron lo castel, et cremeron los vals, car lo senhor del castel raubava los camins " (1). Madières est à l'extrémité du Larzac. Une belle route s'étend de là jusqu'à Ganges, au confluent de là Vis et de l'Hérault. La gorge, quoique encore, aussi profonde et resserrée, perd un peu de son caractère sauvage. Entre la Séranne et le pic d'Anjau, les vallées latérales y sont plus nombreuses : nous sommes déjà dans la région des Cévennes proprement dites.
(1) Cette année-là (1217), les hommes de Montpellier prirent Madières qui est en larzac, et démolirent le château et brûlaient les vallées, car le seigneur du château volait sur les chemins. V. le Petit Thalamus de Montpellier (publications de la Soc. Archéol. de Montpellier.)
La grande faille d'Alzon sépare le massif primitif du Saint Guiral et du Lengas du Causse proprement dit. C'est elle qui a provoqué le creusement de la profonde vallée de l'Arre. Depuis les rochers de la Tessonne jusqu'au col d'Aurières, le Causse de Blandas y forme une muraille gigantesque que les gens du pays désignent sous le nom de " la broue". Ici encore, à la base des calcaires, d'importantes sources ramènent au jour la masse des eaux pluviales englouties par les avens du plateau. Aux environs de " Las Fonts " et de " Bez ", nous retrouvons de puissantes rivières souterraines qui forment pendant à la Follatière. Tel est le pays auquel nous avons consacré de longs mois de recherches. S'il nous est arrivé plusieurs fois de maudire la sécheresse et la désolation de certaines parties du causse, en revanche nous gardons un souvenir impérissable des belles journées écoulées sur l'une et l'autre rive de la rivière au cours sinueux, dans la contemplation d'un paysage de rêve dont rien ne vient troubler la majestueuse sauvagerie
2) CONSTITUTION DU SOL ET TECTONIQUE.
Il n'entre point dans notre cadre d'étudier la géologie du Larzac. Nous nous contenterons du rapide aperçu dont nous faisions suivre notre rapport à M. le Ministre de l'Instruction publique, pour plus amples renseignements renvoyant aux travaux de MM. Émilien Dumas. Scipion Pellet, Pierre de Brun et surtout aux cartes géologiques dressées par MM. G. Fabre et Nicklès. " La surface du Causse appartient, presque en totalité, au jurassique supérieur. Le grand canyon de la Vis et la vallée de l'Arre offrent d'excellentes coupes de tous les terrains sous-jacents. " Les dolomies bathoniennes. d'une puissance de près de 100 mètres, règnent généralement au fond de la Vis. Au-dessus, l'oxfordien, le rauracien et le séquanien, forment, un talus rapide aux strates disposées en marches d'escalier. Les calcaires plus massifs, parfois dolomitiques, du kimméridgien constituent, au sommet, un remarquable escarpement, observable surtout en aval de la Foux. Enfin, la surface même du Causse montre des dolomies noirâtres parfois surmontées de calcaires blancs qu'il faut sans doute rattacher aux couches à Diceras Lucii de la Séranne; c'est le dernier terme de la série. Ainsi, nous observons dans cette gorge deux grands escarpements : à la base, la dolomie bathonienne désignée communément sous le nom de Rouquet; au sommet, les calcaires massifs ou dolomies désignés à Ganges sous le nom de banne ou bannelle. Les couches inférieures au bathonien (hettangien, rhétien, trias) ne se remarquent guère que sur le versant septentrional du Causse, dans la vallée de l'Arre. Au point de vue pétrographique, il faut noter certaines variations dans le phénomène dolomitique. Vers le nord, les couches superposées à l'oxfordien sont presque toutes dolomitisées, ce qui rend l'étude de ces terrains assez compliqués. Une autre complication résulte de la disparition ou de l'atténuation considérable de certains étages, au voisinage de ce qu'on appelle le seuil jurassique. Au point de vue spéléologique, les dolomies constituent le terrain le plus favorable à l'action des eaux souterraines. Elles se montrent partout corrodées, semées d'avens et de fondrières, découpées en roches ruiniformes, parfois offrant l'aspect de villes naturelles. Tels sont les rochers de l'Arène et du Rouquet (causse de Campestre), aussi remarquables que ceux de Montpellier-le-Vieux; ceux de Cros et du Caylar, de Blandas, Campestre. Rogues, Campaillou, etc. Cependant les autres couches calcaires peuvent aussi livrer passage aux eaux souterraines. Les sources de Las Fonts ont traversé toute la série des étages jurassiques et ne voient le jour qu'au contact des assises du trias. Deux sortes de mouvements orogéniques paraissent avoir affecté la région qui nous intéresse. Les plus anciens sont caractérisés par des plis dirigés N.E.- S.O., parallèles à la chaîne des Cévennes. On distingue notamment un anticlinal aux sources de la Foux, un autre à Navacelle; un troisième au Mas del Pont; un quatrième, peu accentué, à Saint-Peyle, et enfin un cinquième (grand pli faille) à Madières. Ces plis sont généralement d'amplitude restreinte et, sauf sur deux ou trois points, n'ont guère provoqué que de faibles dérangements au sein des couches affectées.
Postérieurement à ces premiers mouvements, plusieurs grandes failles se sont ouvertes en divers points qui ont amené des modifications profondes dans le régime des cours d'eau : 1° C'est d'abord la grande faille d'Alzon (direction générale E.-O.), au sein de laquelle se sont creusées les profondes vallées de Sauclières, de Valcroze et de l'Arre. Le Causse s'est trouvé ainsi isolé du massif primaire. Le rôle historique de cette dépression est très considérable. C'est là que passait jadis la voie romaine qui s'élevait de Nîmes au pays des Rutènes. Aujourd'hui encore elle livre passage à une route nationale et à une voie ferrée; 2° La faille d'Avèze à Madières par Montdardier (direction N.-S.) sépare le Causse proprement dit du petit massif de la Tude. Là encore s'élevait la voie romaine du Vigan à Lodève, 3° Enfin, la faille de la Tude (E.-O.) relève jusqu'à 900 mètres les calcaires jurassiques de cette petite chaîne. Ces accidents ne se produisirent que lorsque le Causse était déjà parcouru par de nombreux cours d'eau descendant du Saint-Guiral et du Lengas. On trouve, en effet, des alluvions siliceuses jusqu'aux points les plus élevés. Pour nous, ces failles doivent être considérées comme le contre-coup du grand soulèvement alpin. La présence des deux filons de basalte que nous avons découverts sur le Causse de Campestre prouve bien que jusqu'à la fin du tertiaire la région fut encore sous l'influence de mouvements internes.
3) ANCIENNES EAUX COURANTES.
Un phénomène général sur tous nos causses calcaires et que nous avons déjà signalé aussi bien sur le plateau de Féron, près de Nîmes, que sur celui de Méjanes-le-Clap, dans l'arrondissement d'Uzès, est la présence d'alluvions siliceuses très anciennes consistant en limons rougeâtres et cailloux roulés de toute dimension. Cette observation démontre parfaitement qu'avant le creusement de toute vallée, les cours d'eau venant des Cévennes se répandaient à la surface des plateaux calcaires et que les premiers sillons qu'on y remarque ainsi que la plupart des avens sont précisément le résultat de ces premières érosions.
Sur le Causse du Larzac, ce phénomène est des plus caractéristiques. Les alluvions primitives s'y retrouvent presque partout et à tous les niveaux. En certains endroits, comme au col d'Aurières et au Viala, les cailloux roulés quartzeux sont tellement abondants qu'on croirait marcher sur un véritable lit d'une rivière. Or, une dépression de plusieurs centaines de mètres sépare le Causse calcaire du massif montagneux granitique ou schisteux. Les galets sont si abondants partout que les paysans les désignent sous le nom spécial d'albarons, qu'il serait bon de leur conserver. A la surface du plateau, ils sont colorés en rouge par le limon oxydé ; mais, entraînés au fond des avens et lavés par les eaux souterraines, ils redeviennent d'un beau blanc laiteux. Dans les profondeurs de la Follatière, à 400 mètres de la surface du Causse, les albarons remplissent tous les creux ou marmites de géant où nous les avons ramassés à poignées. Les traînées d'alluvions anciennes jalonnent généralement les premiers sillons creusés sur le Causse et permettent ainsi de reconnaître l'existence de plusieurs cours d'eau descendant des pentes du Saint-Guiral Il est même possible de constater que ces ravinements ne sont autre chose que l'exact prolongement des hautes vallées actuelles de la montagne cévenole. En ce qui concerne le Causse de Campestre, nous signalerons les vallées primitives de la Virenque, du Luc, du Salze et du Viala (celle-ci particulièrement riche en alluvions). Sur le Causse de Blandas, la dépression de Casevieille et surtout celle d'Ayrolles sont particulièrement typiques; elles étaient tributaires du Vissec. Mais d'autres cours d'eau, encore plus anciens, ont laissé leurs traces aux alentours du Landre, sur la montagne dite Bois de Régos, aux environs de Navas et des Campels. En certains endroits, comme du côté de la Tude, les mouvements postérieurs du sol ont tellement changé la face des choses qu'il est bien difficile de reconnaître la direction exacte des anciens courants dont on retrouve les alluvions à une altitude parfois supérieure à 850 mètres ! En l'absence de toute faune. il n'est pas possible de déterminer avec exactitude l'âge relatif des alluvions du plateau. Mais il est visible qu'elles sont loin d'appartenir à la même époque cependant; les plus anciennes nous paraissent antérieures aux grands mouvements alpins.
De tout ce que nous venons de dire, il résulte que les eaux courantes se répandaient primitivement sur le Causse par une série de vallées perpendiculaires à la chaîne du Saint-Guiral. La grande faille d'Alzon, contre-coup du soulèvement alpin. vint brusquement modifier tout ce système hydrographique. A la limite des calcaires et des terrains primitifs,' elle provoqua la formation des vallées transversales de l'Arre, de Valcroze et de Sauclières qui attirèrent à elles et drainèrent tous les cours d'eau cévenols. C'est ainsi que le Causse se trouva tout à coup isolé par suite d'un des plus curieux phénomènes de captation que nous ayons jamais observé. Entre les vallées suspendues au bord du Larzac, comme le col d'Aurière, et leurs répondants cévenols, il y a aujourd'hui une dépression de plusieurs centaines de mètres. De tous les sillons primitivement dirigés du nord au sud, il ne reste que ceux de la Virenque et du Vissec qui sont devenus les deux branches mères de la Vis. En résumé, il résulte de nos observations que les alluvions anciennes du Larzac pourraient être classées de la manière suivante 1) Époque miocène et anté-miocène, ayant précédé la formation de la faille d'Alzon : alluvions de la Tude, d'Anjau, du Landre, du Bois de Régos, etc.; 2) Époque post-miocène avant immédiatement succédé à la formation de cette faille : alluvions de Montdardier, Aurières et le Viala; 3) Époque quaternaire marquée par le creusement des canyons : brèches et grottes à ossements d'animaux. Nous considérons le creusement des vallées de l'Arre et de la Vis comme un phénomène quaternaire, par la raison que toutes les grottes des hauts et des bas niveaux nous ont donné des restes d'Ursus speleus associés à des alluvions siliceuses (grottes de la Tessone, du Cengle de l'Elze, de la Salpêtrière, etc.).
4) LES AVENS DU CAUSSE.
Mais, pendant que les eaux courantes parcouraient librement la surface du Larzac, elles entamèrent sur certains points le sous-sol fissuré et commencèrent à creuser leurs premières dérivations souterraines. C'est de cette phase que date généralement le premier étage de nos avens. Ceux-ci n'ont fait que s'approfondir au fur et à mesure que le niveau général des eaux s'abaissait dans les vallées voisines. Nous donnerons ci-dessous plusieurs exemples de. ce remarquable processus. Aujourd'hui encore, les avens ont pour fonction d'absorber les eaux pluviales et de les
conduire par des canaux souterrains jusqu'au niveau des cours d'eau voisins. En dehors de ses nombreux avens, la surface du Causse Larzac présente un grand nombre de crevasses de dimensions parfois extraordinaires qui portent le nom de Cros ou de sottsch. La plupart de celles que j'ai étudiées sont certainement le résultat d'affaissements produits sur le parcours de quelque rivière souterraine : ils reproduisent le phénomène des dolines du Kartz. Enfin, je ne saurais séparer de ces divers phénomènes celui des roches dolomitiques découpées par les eaux en masses ruiniformes analogues à la ville naturelle de Montpellier-le-Vieux. Là aussi les anciennes eaux courantes, souterraines ou autres, paraissent avoir joué un rôle prépondérant qu'il nous sera facile de mettre en lumière.
CAUSSE DE CAMPESTRE. - Le sol de ce plateau est un véritable crible où les avens se comptent par centaines. La plupart sont des fentes impénétrables ou obstruées par les éboulis à une certaine profondeur. Le plus remarquable de tous est l'aven de Saint-Ferréol ou peut-être de " Saint-Front " (San-Fron), comme disent les habitants du pays). Sa profondeur est de 70 mètres à pic. Il ouvre dans une immense salle qui mesure 60 mètres de long sur 30 à 40 mètres de large et autant de hauteur et qui sert aujourd'hui de cave à fromages. Rien de plus intéressant que cet aménagement. Les fromages sont préparés dans un bâtiment à cinq étages accroché à la paroi de l'aven; de là, ils sont descendus par un câble à l'entrée de la salle. Pour avoir accès dans celle-ci, on a profité du voisinage d'un second aven plus large et plus accessible : entre les deux, on a percé un tunnel de 200 mètres. Notre plan donne une idée d'ensemble de cette curieuse disposition. Un autre immense aven est celui de Camp-Lauron, près du Régagnas. D'après la légende, il communiquerait avec la source de Roubias, située un peu en amont du confluent de la Virenque et du Vissec. Bien que nous ne soyons pas descendu au fond de cet abîme, nos observations confirment en tous points le bien fondé de la légende. A côté de ce dernier, nous avons visité l'aven-grotte de Trouiaou, sur le bord du causse, et un curieux affaissement ou cros situé dans le voisinage, qui paraissent former une même dérivation ancienne. Nous signalerons un grand nombre d'avens et de cros le long de l'ancienne vallée de Campestre au Viala, notamment dans la propriété de le Dr Espagne, au lieu dit le Rouquet " et, plus bas, vers la Condamine. Les cros abondent partout. On en trouve à Graille, à Campestre, au Luc, etc. Le plus vaste de tous est l'immense cratère du Régagnas dont le fond est cultivé et qui mesure près de 2 kilomètres de tour. A l'époque des fortes pluies, il se transforme en un véritable lac dont l'écoulement ne se fait que fort lentement par des fissures invisibles.
Il n'est pas rare, d'ailleurs, d'assister à la formation de quelques-unes de ces crevasses. Le sol est tellement miné en dessous que le moindre poids suffit à le faire écrouler. C'est ce qui s'est produit il v a quelques années pour le cros de Graille, à la suite de pluies torrentielles qui avaient transformé en lac le fond de cette cuvette.
Tout près du village des Homs, la dolomie friable dite rouquet ou dolomie bathonienne a produit une véritable merveille en tous points analogue à celle de Montpellier-le-Vieux. Les deux ravins du Rouquet et de l'Arène, à l'ouest du village, sont uniquement formés d'alignements gigantesques de rochers offrant les formes les plus bizarres. Plusieurs des ruelles ou passages qui les séparent ne sont autre chose que des fentes à peine élargies. Le sol est tout plein de crevasses et d'avens profonds de 15 à 30 mètres. Plusieurs sont remplis d'une eau extrêmement précieuse pour ce causse desséché. C'est ainsi que la petite grotte-aven du Mont-Redon, voisine de là, jouit d'une grande réputation à cause d'un petit bassin naturel qu'y forment les infiltrations pluviales : nous y avons même-trouvé des fragments de poterie néolithique. Non loin du hameau de Grailhe, en allant vers la Virenque, la Font de " Pourrière ", au fond d'une crevasse, n'est également qu'une citerne naturelle.
CAUSSE DE BLANDAS ET MONTDARDIER. - Il serait fastidieux d'énumérer tous les trous plus ou moins élargis, plus ou moins profonds qui s'observent sur toute l'étendue de ce causse. Nous nous contenterons d'énumérer rapidement ceux que nous avons explorés ou dont nous avons visité les abords : - Au NORD : l'aven-grotte de la Tude (ne pas confondre avec la montagne de ce nom Montdardier), pénétrable, peu important:
L'aven des 3-Taulières. très intéressant et très profond. Il présente au moins trois étages de galeries, dont deux seulement ont été explorés. Les eaux qui s'y précipitent vont peut-être alimenter les fameux évents de Bez (V. ci-après).
Les avens de Navas. Celui du Buquet ou de la Broue présente un couloir d'environ 50 mètres de long, terminé par un puits qui doit avoir bien près de 100 mètres de profondeur: il communique probablement avec un des évents de Bez. Celui de la Rabassière offre deux ouvertures jumelles le long d'une importante diaclase N. S. (20 à 30 m. de profondeur). Celui des Fades n'est qu'un entonnoir peu profond;
Les avens de Combe-longue et des Campels. non loin de la broue de la Tessonne ;
Au CENTRE: l'aven du Mas del Comte qui comprend au moins trois étages de grottes (les deux étages supérieurs sont accessibles et nous y avons recueilli des restes de sépultures préhistoriques: l'étage inférieur paraît peu profond, niais nous n'avons pu y descendre à cause des odeurs de bêtes mortes qu'on v avait jetées depuis peu); L'aven de l'Usclade (12 m. à pic), où nous avons assisté à l'extraction du cadavre d'un malheureux enfant nouveau-né; Les deux avens dits les Soutasses (grands sottschs),au milieu du champ des Biques, non loin de la route de Blandas à Montdardier (l'un d'eux extrêmement profond). L'aven de la Buissonnade, profond de 30 à 40 mètres à l'extrémité duquel on distingue un puits vertical obstrué par les éboulements (V. le plan); Les avens de Campaillou et de Flouirac (dans la dolomie tout excavée, nous avons observé là un grand nombre de fentes plus ou moins obstruées; profondeur des avens, de 1 0 à 50 m. et plus); L'aven de Montdardier (orifice obstrué); L'aven de Caucanas (15 à 20 m.), situé dans le lit d'un ruisseau et paraissant fort intéressant, mais dans lequel nous n'avons pu descendre à cause des odeurs méphitiques qui s'en dégageaient; Enfin, nous citerons plusieurs avens-grottes des pentes de la Tude et en premier lieu la célèbre grotte à stalactites du Pic d'Anjau qui se présente également avec tous les caractères d'un aven. La grotte d'Anjau offre d'abord une plate-forme extérieure à laquelle fait suite un talus fort incliné descendant jusqu'à 50 mètres de profondeur. Dans le fond, on observe Une salle et divers petits couloirs admirablement décorés de concrétions calcaires : on v voit des colonnes de 15 mètres de hauteur. Les traces de l'homme préhistorique sont nombreuses dans cette salle, c'est là que les bergers venaient autrefois chercher la pierre del tro (pierre du tonnerre, hache néolithique) qui préserve, disent-ils, leurs bêtes de la maladie du foie. Développement total : 60 mètres (V. le plan). Les albarons siliceux forment d'importants dépôts dans tous les environs et aux abords de la grotte, démontrant ainsi que le creusement de cette dernière remonte à une époque fort reculée ayant précédé le creusement de la Vallée.
AU SUD, nous signalerons
L'aven du Serras (près du château d'Assas), que nous n'avons point exploré, mais qui doit être un des plus profonds de la région-, les nombreux petites avens de Rogues, fentes plus ou moins élargies dans l'épaisseur de la dolomie brune qui s'étend jusqu'aux environs de Montdardier; Enfin l'aven del Coustel à Camp Masso, profond de 30 mètres (traces d'occupation ancienne,), et dans lequel on peut assez facilement descendre au moyen d'une seconde petite ouverture située à quelques mètres de la première. Les cros ou sottschs sont aussi abondants que sur le Causse de Campestre. Nous en avons vu de bien curieux. aux environs de Montdardier, aux Campels à Navas (remarquable entonnoir de forme très régulière, véritable vallée chaudron), aux environs de la Rigalderie, de Blandas, de la Jurade et de Rogues. Leur rôle absorbant est aussi important que celui des avens, car leur ouverture plus large leur permet de recevoir un plus grand volume d'eau.
En résumé, toute la surface du causse Larzac se présente sous la forme d'une immense écumoire où s'engouffrent les eaux pluviales. Pas une goutte ne ruisselle à la surface. Les avens se sont creusés par étapes successives et. malgré les éboulements qui en obstruent généralement le fond, ils permettent aux eaux de pluie d'aller rejoindre les canaux souterrains au moyen desquels elles iront grossir les rivières voisines de 1'Arre et de la Vis. De fort belles exsurgences vont nous permettre tout à l'heure de nous rendre compte de ce remarquable processus.
5) LES GROTTES DES HAUTS NIVEAUX.
Il ne faut voir dans les grottes des hauts niveaux que les témoins des anciennes dérivations souterraines : ce sont des fragments de couloirs presque toujours en relation avec les cheminées ou avens du Causse. Quelques-unes portent des traces du passage de la Vis au début du quaternaire ou à la fin des temps pliocènes. Nous citerons, dans la Virenque: celles de Grailhe, de Baoumo Ferrenco, du Garot, de la Paillère, etc.; dans le Vissec. celles de Trouiaou (v. ci-dessus), du Ferlet, des Fades, etc., toutes de très faible étendue. Dans le lit de la Vis, la Baume-Auriol est curieuse par les nombreux aménagements dont elle a été pourvue; celle du Roc du Midi sera décrite plus loin avec quelques détails; les abris de la Burle, les baumes du Cengle de l'Elze, de la Lègue, etc., sont en relation étroite avec des cheminées ouvrant sur le plateau; dans toutes nous avons retrouvé soit des ossements quaternaires, soit des traces d'habitat néolithique.
6) LES ORIGINES DE LA VIS.
La Foux est, nous l'avons dit, une des sources les plus pittoresques et les plus abondantes du Causse. Son débit ne descend guère au-dessous de 2 mètres cubes par seconde; mais, à l'époque des inondations, il peut s'accroître dans des proportions prodigieuses. Par suite du déboisement de nos montagnes, l'eau n'étant plus retenue par la terre végétale s'écoule avec une rapidité de -plus en plus grande, ce qui rend les inondations beaucoup plus dangereuses pour les riverains. J'en donnerai pour preuve les deux moulins que des actes remontant aux environs de l'an 1000 nous montrent établis à la sortie de la Foux. Après la fameuse inondation de 1900, au cours de laquelle les eaux s'élevèrent jusqu'à la hauteur des toits, ils furent définitivement abandonnés.
Au cours des siècles écoulés, la Foux a dû être sujette à de nombreuses variations avant pour cause les éboulements de son lit souterrain. Nous en trouvons un exemple remarquable dans une curieuse relation extraite d'un registre de l'état civil de la paroisse de Navacelle : " L'an mil sept cent soixante et dix-neuf, et le neuvième jour du " mois d'avril, la rivière de Navacelle tarit totalement au grand " étonnement de tout le monde; elle resta huit jours dans cet état; " le huitième jour, sur le soir, on s'aperçut à La Fous qu'elle com- " mençait à venir; le lendemain au point du jour, elle fut à peu " près dans son état ordinaire, assez claire, grossissant néanmoins d'une manière sensible; sur les neuf heures, elle grossit tout à " coup, et devint fort trouble, de couleur rouge; on sait qu'elle avait " tari autrefois pendant quelques heures. " Saint-Léger, curé. "
Ce phénomène, qui étonna si vivement les contemporains. nous paraît devoir s'expliquer de la manière suivante : 1° Éboulement intérieur ayant déterminé la formation d'un barrage en amont duquel les eaux souterraines se seraient accumulées remplissant toutes les cavités, anciennes ou récentes; 2° Le niveau supérieur du barrage étant atteint, la rivière s'écoule naturellement par dessus ce seuil improvisé': 3° Rupture et entraînement du barrage, avant pour conséquence l'abandon de toutes les galeries momentanément occupées par l'eau. Aujourd'hui, la rivière vient d'être captée à Navacelle, à quelques kilomètres en aval de sa source. Ses eaux canalisées jusqu'à Madières servent à actionner de puissantes machines électriques qui vont transporter jusqu'à Nîmes et Montpellier la lumière et l'énergie motrice. Le problème des origines de la Vis est donc un des plus captivants que présente l'étude de nos immenses causses cévenols, jusqu'à maintenant si mystérieux et si peu connus. C'est à sa solution que nous avons consacré la majeure partie de nos recherches. Par la raison que les eaux de la Foux paraissaient jaillir du flanc méridional de la gorge, la plupart des auteurs qui ont écrit là-dessus ont une tendance à placer son bassin d'alimentation dans les départements de l'Hérault et de l'Aveyron. Nous allons démontrer qu'il n'y a dans cette hypothèse qu'une très faible part de vérité et que l'origine de la Vis doit être principalement recherchée dans le Gard. Tout d'abord, observons que la Foux ne jaillit point au sein d'une cluse fermée comme la Fontaine de Vaucluse, mais qu'elle se trouve sur le parcours d'une vallée profonde qui se poursuit en amont sans autre modification que l'absence complète de tout cours d'eau. D'autre part, nos investigations nous ont démontré qu'au lieu de jaillir de la rive droite, les eaux remontent des profondeurs du sol par les fissures mêmes du lit du Vissec. Ainsi notre source se présente dès l'abord avec le caractère très net d'une résurgence ou réapparition. Les observations suivantes ne feront que confirmer cette manière de voir. Étudions le cours des deux grandes vallées qui s'étendent en amont de la Foux. La Virenque naît des pentes occidentales du Saint-Guiral. Jusqu'à Sauclières, c'est un ruisseau abondant qui arrose de verdoyantes prairies. Après ce hameau, elle se perd dans les dolomies et, pendant 25 kilomètres, son lit n'a d'autre aspect que celui d'un large chemin pierreux où la marche devient singulièrement difficile. Nous en dirons autant du Vissec qui tombe en cascades sur les pentes méridionales du Saint-Guiral et se perd en aval d'Alzon. Son canyon est encore plus aride et plus désert que le précédent. Ce n'est qu'à une distance de 6 kilomètres environ du confluent que la Foux vient brusquement ranimer ce triste paysage. Que sont devenues pendant ce temps les eaux tombées du Saint-Guiral?... On a prétendu qu'elles allaient reparaître dans la vallée de l'Arre, aux évents de Bez : c'est là une absurdité géologique. Pourquoi ne pas supposer, a priori, que les eaux actuelles suivent une direction semblable à celle qu'elles ont eue depuis le début des temps quaternaires?... Pour se rendre compte de la direction des dérivations souterraines, l'observation nous tt depuis longtemps démontré qu'il fallait étudier le régime des cours d'eau pendant les trois phases suivantes : lit d'été. lit majeur et lit d'hiver. Remarquons tout d'abord que les pertes des deux rivières, à Alzon et à Sauclières, ne se produisent point d'une façon absolument brusque. On observe une diminution progressive des eaux qui disparaissent, puis reparaissent alternativement pendant plus d'un kilomètre. En temps d'inondation, les canaux souterrains ne suffisant plus à écouler le trop-plein, elles remontent à la surface et occupent toute la largeur du lit aérien. Lorsque le retrait s'effectue, la rivière offre un curieux objet d'étude. Le courant ne cesse pas brusquement: il se sectionne., offrant une alternance de pertes et de réapparitions qui indiquent d'une façon certaine la proximité des canaux souterrains.
Entre les régimes majeur et mineur, il existe un régime moyen qu'on pourrait appeler régime d'hiver. La fonte des neiges et les pluies fréquentes entretiennent les rivières jusqu'au milieu de leur cours. Le lit du Vissec cesse alors d'être un chemin praticable. Les eaux s'engouffrent, à plusieurs kilomètres d'Alzon, dans un trou brusquement ouvert, au milieu des cailloux. au bas de la falaise dite le Roc Troué. Nous avons pu pénétrer dans cette ouverture et suivre la dérivation souterraine pendant quelque temps. mais les débris accumulés ne nous ont pas permis. en été, de pousser assez loin notre investigation. A quelque distance de là, cependant, les eaux reparaissent pour former un gour assez profond entre deux rochers resserrés. Dans le lit de la Virenque, les pertes dhiver sont encore plus remarquables. A plusieurs kilomètres en aval de Sauclières, sous le pont de Bousquet, on remarque une grande entrée en forme de tunnel. Pendant quelques mètres on marche sur un lit de cailloux roulés et l'on est obligé d'enjamber à chaque instant des troncs d'arbres, des planches pourries, voire même des tonneaux et ustensiles de ménage entraînés par l'inondation. Viennent ensuite des couloirs plus étroits, à pente rapide, rappelant ceux du Bramabiau. Après 200 mètres environ de parcours, nous avons été arrêté par une descente de 4 mètres que nous n'avons pu effectuer à cause de l'étroitesse des parois. Cependant l'humidité était grande et tout faisait pressentir la proximité de la rivière souterraine (V. le plan). A 1 kilomètre en aval, la Baume Tournière est une seconde grande perte temporaire de la Virenque. Comme la précédente, elle débute par une sorte de large tunnel auquel succèdent des galeries plus étroites et plus inclinées. Là encore le sol est encombré de troncs d'arbres et de flaques d'eau. La fente est bientôt tellement étroite qu'elle ne peut plus livrer passage à un homme. J'avais pour guide heureusement un jeune berger d'une douzaine d'années qui a pu avancer encore de quelques mètres et retrouver enfin une importante nappe d'eau qui n'est autre chose que le lit souterrain de la Virenque.
Ainsi mes observations démontrent que les pertes du Vissec et de la Virenque s'échelonnent sur un parcours assez considérable et que, dans cette partie de leur lit, les deux rivières souterraines ne paraissent pas s'écarter sensiblement de leur canyon extérieur. L'étude des résurgences nous a conduit aux mêmes conclusions. Tout d'abord, à 8 kilomètres en amont de la Foux, dans le calcaire oxfordien stratifié, la baume de Roubias (rive gauche de la Virenque) vomit à l'époque des inondations une énorme masse d'eau. En temps ordinaire l'entrée est à sec, mais à une distance de 20 à 30 mètres on retrouve l'eau stagnante, et en poursuivant jusqu'à 150 mètres on ne tarde pas à entendre le bruit d'une chute d'eau; mais, pour remonter encore cette nappe, le concours du bateau démontable serait de toute rigueur. Pour nous, cette ouverture n'est que le trop-plein d'une source alimentée par les avens du Causse de Campestre, et notamment par celui du Camp Lauron, mais dont les canaux se confondent souterrainement avec ceux de la Virenque (V. le plan). Un peu en aval du Vissec, deux puits profonds de 4 mètre pénètrent au sein d'une nappe inépuisable qui pourrait bien être celle de la rivière souterraine.
Avec la dolomie bathonienne commencent les véritables réapparitions de la Vis. Ce sont d'abord de minces filets d'eau qui disparaissent tout aussitôt pour reparaître un peu loin. Puis, on distingue dans des crevasses de petites nappes d'eau intarissables où l'on constate l'existence d'un faible courant. Le lit de la rivière est d'ailleurs ici étrangement tourmenté. Des affaissements de terrain ont provoqué la destruction de canaux souterrains et les blocs accumulés forment de véritables chaos rendant la marche assez difficile. Au fur et à mesure qu'on approche de la Foux, ces accidents deviennent de plus en plus nombreux. Par une ouverture de grotte, on aperçoit un lac de profondeur inconnue: c'est un oeil ouvert sur la rivière souterraine. A proximité de là, un vaste chenal, jadis toujours plein d'eau, a été comblé par l'inondation de 1900. Les accidents sont désormais tellement nombreux que nous ne saurions les décrire tous en détail. Nous renverrons donc le lecteur à notre plan schématique de cette partie des réapparitions de la Vis. Aux environs de l'immense abri dit Baume Sourcilleuse (1), de nombreuses réapparitions ont définitivement rétabli le cours de la rivière. Dès lors, les gours profonds ne se comptent plus. On sent que les canaux souterrains sont là-dessous, qu'ils suivent les mêmes fentes en profondeur et qu'un abaissement de quelques mètres seulement suffirait à rétablir complètement la rivière. Je ne connais rien de plus tourmenté et de plus pittoresque que cette partie du canyon du Vissec. Les dolomies y ont maintenant à la base une épaisseur de près de 100 mètres ;
(1) Ainsi nommée à cause des stalactites rapprochées qui pendent à l'ouverts même de la grotte et forment comme de véritables sourcils.
les parois sont extrêmement rapprochées et fournissent de curieux étages de grottes témoignant de la puissance érosive du cours d'eau aux époques quaternaires. Certains abris n'ont pas moins de 100 mètres d'ouverture! Les chaos y prennent des proportions gigantesques. Un phénomène curieux est celui d'un bloc immense détaché de la montagne et auquel l'étroitesse du canyon n'a pas permis de descendre jusqu'au fond : il est resté suspendu, pincé entre les deux parois, formant une sorte de gigantesque pont naturel. On parle avec enthousiasme du fameux Chaos du Pas de Souci dans les Gorges du Tarn, mais ce spectacle est loin d'égaler celui que l'on éprouve en remontant le canyon de la Vis jusqu'à 2 kilomètres en amont de sa source. A un coude brusque du canyon, la rivière souterraine jaillit enfin tout entière des profondeurs de la dolomie. Nous avons pu nous frayer un passage au milieu des énormes blocs encombrant la sortie et formant une barrière qui oblige l'eau à remonter en arrière pour se répandre ensuite en cascades écumeuses. C'est là un obstacle que la violence des eaux finira par faire disparaître. En remontant la source de quelques dizaines de mètres, nous avons pu constater que, contrairement à ce qu'on croyait, sa direction générale est celle d'une grande diaclase Nord-Sud qui suit la gorge en amont de la Foux.
Cette même fissure est très visible au sein de la grotte qui domine la source de quelque 25 mètres. A l'époque quaternaire. elle avait déjà déterminé la formation d'une dérivation souterraine dont le niveau est supérieur de 20 à 30 mètres à la dérivation actuelle (V. les plans).
Ainsi, les mêmes conditions géologiques ou tectoniques provoquent la répétition des mêmes phénomènes hydrologiques ; ainsi, après avoir vu les pertes et réapparitions former un enchaînement presque ininterrompu, il est permis d'affirmer que la belle source de la Foux est, avant toute chose, la résurgence des eaux du Saint-Guiral englouties par les terrains calcaires. Insistons ici sur le rôle prépondérant de la dolomie. Tout fait présumer que les eaux souterraines circulent depuis le début au sein de ces couches éminemment favorables au cavernement : invisibles lorsque les assises oxfordiennes règnent seules dans toute la vallée, elles ne revoient définitivement le jour qu'avec l'apparition des dolomies oolithiques. Il convient de se demander maintenant si, indépendamment de ces apports lointains, la Vis ne se trouve point accrue par d'autres affluents souterrains venant de régions différentes. La chose est hors de doute en ce qui concerne le causse de Campestre, entièrement isolé par les canyons de la Virenque et du Vissec. Il en est de même pour les ravins d'Ayrolles et de Casevieille (Causse de Blandas), tributaires du Vissec depuis l'époque des alluvions anciennes. Mais tous ces confluents se produisent souterrainement et nous ne pouvons en déterminer l'exacte situation, sauf pour un seul cependant, celui de Roubias dont nous avons parlé précédemment. Les apports locaux de la région ouest (Aveyron) doivent être de peu d'importance, les eaux du Larzac prenant ici une direction opposée.
Mais. dans le département de l'Hérault, l'important ravin (les Mourgues), qui prend naissance aux environs du Caylar et se perd dans la Virenque au Camp d'Alton, fournit, à coup sûr, un fort contingent à la Vis souterraine. Entre le Cros et le Caylar, on retrouve le phénomène des dolomies ruiniformes avec crevasses et avens absorbants. Le premier de ces villages tire même son nom des nombreux accidents de ce genre qu'on y observe. Pendant la saison des pluies, tous les creux se remplissent d'eau et forment de petits lacs temporaires. A la tête du ravin des Mourgues, à quelques mètres de Cros, une goule ou aven absorbe toutes ces eaux et constitue l'origine d'un ruisseau souterrain analogue à ceux que nous rencontrons dans toutes nos régions calcaires. Un peu plus bas, l'importante grotte des Mouniès permet de se rendre compte de la façon dont ces eaux circulent à l'intérieur du sol. La grotte tire son nom d'un ancien couvent. L'entrée est située dans le lit d'un petit ravin tributaire de celui des Mourgues, mais presque au confluent de ce dernier. Nous avons trouvé dans le premier couloir les restes d'une importante nécropole celtique et romaine. Un fait original est la présence au milieu de cette grande galerie d'une amphore romaine recevant les stillations
de la voûte et entièrement recouverte de concrétions encore aujourd'hui, les bergers viennent puiser de l'eau dans cette vasque d'un nouveau genre qu'ils appellent le bénitier. Au fond de ce tunnel long de plus de 150 mètres, un escalier artificiel mène dans une seconde partie de la grotte formée de deux branches : l'une dérivant d'un aven ouvert sur les bords du ruisseau des Mourgues, l'autre se prolongeant en aval et formant un petit ruisseau souterrain avec flaques d'eau (V. le plan). La direction et la pente générale sont celles du ravin extérieur (SO-NE).
Le tout se termine, après environ 500 mètres de développement, par un petit cul-de-sac dont toutes les fentes sont obstruées par une sorte de boue liquide. D'après tout ce que nous venons de dire, il convient de voir dans cette grotte le confluent de deux cours d'eau souterrains d'époque quaternaire, les mêmes que ceux que nous voyons aujourd'hui. Ainsi il est démontré par cette exploration que toutes les eaux pluviales drainées par le ruisseau des Mourgues convergent dans la direction de la Vis souterraine. Il me resterait à citer, dans le même département, et sur les bords de la Virenque, un grand nombre. d'avens plus ou moins profonds qui sont aussi tributaires du même cours d'eau souterrain, mais l'étude n'en a pas encore été faite.
En résumé, nous croyons pouvoir affirmer que le bassin d'alimentation des sources de la Foux s'étend sur une superficie totale d'environ 150 kilomètres carrés. Il se trouve à peu près délimité par une ligne idéale qui, partant du Saint-Guiral, irait aboutir au Caylar (Hérault) par Sauclières (Avevron); du Caylar, elle rejoindrait Vissec (Gard) par Saint-MicheÎ et les Baumes; enfin, elle remonterait au Saint-Guiral par le col d'Aurières et Casevieille.
7) LES AFFLUENTS SOUTERRAINS DE LA VIS, EN AVAL DE LA FOUX.
Dans la profonde et si pittoresque coupure de la Vis, en aval de la Foux, plusieurs sources importantes méritent d'attirer vivement notre attention. Toutes ont leur origine au sein même du Causse et deux d'entre elles nous fourniront d'intéressants aperçus sur la manière dont les eaux pluviales circulent dans l'épaisseur de la masse calcaire.
BAUMES DU Roc DU MIDI. - Tout d'abord, à Navacelle, les trois grottes superposées du Roc-du -Midi, du Bel Fournet et de la Trouchenque forment un ensemble des plus curieux. La Baume du Roc-du-Midi tire son nom d'un immense rocher formant promontoire au bord de la falaise et qui n'est entièrement éclairé qu'à l'heure de midi. C'est comme une horloge solaire qui indique au loin. sur le causse voisin et dans le fond de la vallée, l'heure du déjeûner. Son ouverture (mur et porte romane du XIIe siècle) est d'un accès presque périlleux, car 8 mètres à pic la séparent d'une petite corniche à peine assez large pour supporter le pied de l'échelle : au-dessous il y a un abîme de près de 300 mètres !...
Et cependant la grotte a servi de refuge à toutes les époques et nous y avons recueilli de nombreux objets en silex, en céramique et en bronze. De l'entrée, on jouit d'un spectacle, peut-être unique au monde, sur tout le cratère de Navacelle. Aux deux premières petites salles fait suite une descente de 4 mètres, laquelle donne accès dans une galerie perpendiculaire où abondent les restes de toutes les époques. D'un côté, ce couloir est terminé par une petite galerie que nous avons trouvée remplie par des débris de squelettes humains et par un grand puits circulaire de 25 mètres de profondeur à pic, dans lequel nous sommes descendus mais qui est obstrué par les cailloux. L'autre branche de la galerie est beaucoup plus étendue. elle se termine, par une petite salle basse obstruée par la terre végétale, qui pourrait bien être une entrée primitive. Vers le milieu, deux couloirs conduisant l'un au bord d'un petit lac long de plus de 20 mètres, l'autre à l'entrée d'un second étage de galeries où l'on n'arrive qu'au moyen d'échelles de 7 mètres. Ce dernier est caractérisé par la présence de nombreux avens ou fissures montantes qui communiquent certainement avec la surface du plateau. C'est par là que les eaux pluviales pénètrent dans la grotte; en hiver, elles doivent remplir toute l'immense galerie, car elles ont laissé sur la paroi une trace fort nette s'élevant jusqu'à 1m 50 du sol. J'ajoute que, sur le plancher même de la galerie, plusieurs ouvertures donnent accès dans un troisième étage de couloirs beaucoup plus profond, mais inaccessible. Ainsi nous saisissons sur le vif ce mécanisme des eaux pluviales qui, d'un étage à l'autre, s'écoulent à travers la masse entière du causse, utilisant les anciennes dérivations, élargissant de nouvelles fentes et, lorsqu'elles sont trop abondantes, s'accumulant dans leurs étroites cavités de façon à former des réservoirs temporaires.
Mais ce n'est pas tout. Si nous descendons à 150 mètres dans la vallée, nous trouvons une nouvelle grotte qui se rapporte au même ensemble. Sa forme spéciale lui a valu le nom de Bel Fournet. Longue de 150 mètres environ et assez large dans sa seconde salle (V. le plan), elle descend en pente très inclinée vers l'intérieur du causse. En temps ordinaire, les eaux s'y infiltrent à travers les cailloux. Mais, à l'époque des inondations exceptionnelles. la masse des eaux souterraines remonte des entrailles du sol et se précipite avec fracas de l'ouverture. C'est donc un trop-plein des galeries souterraines qui ne fonctionne que lorsque les sources inférieures ne suffisent plus à cette tâche. Descendons encore un étage de 40 mètres et la Baume des Trouchenques nous fournira un nouvel exemple d'exutoire qui fonctionne beaucoup plus souvent. A l'intérieur, le niveau s'abaisse jusqu'à une sorte de petit lac, dont, il est impossible de reconnaître l'étendue. Une source permanente et impénétrable, située un peu au-dessous de l'entrée, est certainement alimentée par les eaux de ce lac.
- En résumé, tout l'ensemble que nous venons d'étudier peut être exposé de la manière suivante :
1°) à une hauteur de 280 mètres, ancienne issue de la Grotte du Roc-du-Midi; 2°) A 250 mètres, second étage impénétrable:. 3°) A 100 mètres environ, issue exceptionnelle des eaux souterraines, au Bel Fournet; 4°) A 50 mètres, autre évent temporaire des Trouchenques; .5°) A 25 mètres, sources plus ou moins abondantes suivant la saison.
Ainsi reparaissent au jour une partie des eaux pluviales absorbées aux environs de Blandas.
LA FOLLATIÈRE. - Nous avons dit plus haut combien est sauvage et resserrée la gorge qui fait suite aux cascades de Navacelle : c'est ce qui explique pourquoi une des principales curiosités du canyon est demeurée ignorée jusqu'à maintenant. On sait combien il est rare que les sources des bas niveaux laissent découvrir une partie de leurs secrets. Je considère donc comme une bonne fortune d'avoir pu profiter d'une sécheresse exceptionnelle pour remonter jusqu'à 600 mètres de la sortie de l'étrange rivière souterraine de la Follatière. En face le Mas del Pont, on aperçoit une ouverture gigantesque de plus de 50 mètres de haut. En temps ordinaire, une source fraîche et limpide sort du milieu des éboulis. Elle fut longtemps suffisante à faire tourner les roues d'un moulin. Après les orages du Causse. une formidable nappe d'eau s'échappe en mugissant des entrailles de la terre et se répand en cascades par dessus les montagnes d'éboulis qui barrent son orifice. Lorsque nous pénétrâmes au delà du dernier talus formé de cailloux blancs polis et roulés par les eaux, nous ne rencontrâmes d'abord qu'un large tunnel à voûte basse tout encombré de flaques d'eau. Sur la gauche, une fente horizontale entre deux strates livre passage aux eaux de la source pérenne. A 300 mètres de là, une galerie latérale présente un éboulement colossal : c'est certainement le fond d'un aven brusquement ouvert -sur le causse vers 1900, peut-être à la suite des inondations de cette année-là. A partir de cet endroit, la marche devient extrêmement difficile. L'eau occupe toute la largeur de la galerie. où elle forme parfois des gours profonds de plusieurs mètres : c'est avec toutes les peines du monde que je gagne encore une cinquantaine de mètres en m'appuyant sur des corniches glissantes analogues à celles du Bramabiau. Avec le secours du bateau démontable. on pourrait peut-être avancer de quelques centaines de mètres.
Les résultats obtenus sont cependant des plus intéressants puisqu'ils nous ont permis de saisir sur le vif la relation qui existe entre les avens du Causse et les sources du fond de la vallée J'ajoute qu'au bas du grand éboulement intérieur, les cascades d'eau ont creusé de nombreuses marmites de géants qui se montrent pleines de ces petits albarons ou cailloux roulés quartzeux entraînés de la surface du Causse où nous les avons vus si abondamment répandus.
La source Follatière doit servir d'exutoire à toutes les eaux englouties par les avens de la Jurade, de la Borie d'Arre et du château d'Assas. Le fermier du Pont m'assure l'avoir vu jaillir avec force certains jours où l'orage avait épargné la vallée et n'avait sévi avec violence qu'aux environs de ce dernier château.
Gourneyras et Gourniôou. - Le Mas del Pont est intéressant à plus d'un titre. A 500 mètres en aval de la Follatière (rive droite), les eaux du plateau de Saint-Maurice (Hérault) viennent y former les deux belles résurgences de Gourneyras et Gourniôou. La première est une source de fond inaccessible qui s'échappe d'un remarquable bassin circulaire au milieu de dépôts de tuf calcaire. La seconde offrait jadis une large ouverture par laquelle le propriétaire du Mas del Pont avait pu remonter assez avant dans le Causse à l'aide d'un radeau. Depuis quelques années, un éboulement a rendu cette entrée tout à fait impraticable.
Source de Madières. A 1 kilomètre en amont de Madières (rive gauche), une importante source sert d'exutoire à toutes les eaux de la plaine de Rogues; malheureusement elle est impraticable. L'eau s'échappe cependant avec abondance à travers les joints des strates. Au point de vue géologique, elle paraît en étroite relation avec la faille de Rogues.
Le penchant méridional de la montagne de la Tude n'appartient déjà plus au Causse proprement dit. Les profonds ravinements qu'on y observe possèdent le régime de tous les ruisseaux en terrain calcaire : chacun d'eux est accompagné en dessous d'une dérivation souterraine qu'il n'est pas toujours facile de pénétrer. Le long ravin de Caucanas est le plus tvpique à ce point de vue. Nous avons déjà signalé un aven dans son lit desséché ; la petite grotte du Goutal nous a permis d'arriver jusqu'aux eaux souterraines. D'autres grottes, de formation analogue, existent aux environs de Rogues et de l'Escoutet. Celle du Claux est une des plus remarquables, mais elle est déjà loin de la région qui nous occupe actuellement.
8) LES AFFLUENTS SOUTERRAINS DE L'ARRE.
Sur le versant septentrional du Causse de Montdardier. l'écoulement des eaux pluviales se fait tout le long d'une ligne d'évents s'étendant depuis le hameau de Las Fonts jusqu'au village d'Arre, sur une longueur de 2 à 3 kilomètres. Il y a là comme un synclinal ou fond de bateau au bas duquel les marnes du trias constituent un excellent niveau d'eau. Le terrain calcaire qui les recouvre est très fissuré et contient, surtout vers le sommet (brèches de la Tessonne) de nombreux remplissages quaternaires à ossements d'animaux. Les trois belles sources de Las Fonts se précipitent de la base des calcaires. Même à l'étiage, leur débit est si considérable qu'il double presque le volume de l'Arre. Naguère encore on pouvait y voir, m'a-t-on assuré, de fort belles grottes à stalactites et d'importantes nappes d'eau : mais ; depuis la construction du chemin de fer du Vigan à Tournemire, toutes les entrées en ont, été murées.
A elles seules, ces sources doivent ramener au jour le cinquième des eaux pluviales absorbées par le Causse de Blandas et Montdardier. D'après l'allure du substratum triasique, il convient de chercher leur origine jusqu'à Montdardier, Navas et les Campels. Les nombreux cros de la Falguière et les avens des Fades et Combelongue n'ont certainement pas d'autre exutoire. Parmi les autres sources de la même vallée, il faut signaler celles de Bez, d'Arre et de Lambrusquière qui jaillissent toutes au contact des marnes triasiques. Impénétrables en bas, elles offrent parfois, à un niveau supérieur, des issues ou évents temporaires par lesquels nous avons pu pénétrer à l'intérieur du Causse et reconnaître un mode de formation absolument analogue à celui que nous avons étudié dans les gorges de la Vis. Je ne citerai que pour mémoire l'évent dit les " Chèvres " d'Arre qui ne déverse guère qu'une fois tous les dix ou quinze ans, ce qui fait dire aux paysans du voisinage " Voir jaillir sept fois les chèvres d'Arre, et puis mourir! "
LES ÉVENTS DE BEZ. Dans la note suivante publiée par le Courier du Gard (numéro du 18 septembre 1861), je trouve la premiere mention des deux évents de Bez : " on vient de découvrir dans les environs du Vigan plusieurs grottes très curieuses. Voici le récit que donne l'Écho des Cévennes de ces découvertes
" Nous sommes heureux de vous annoncer la découverte d'une nouvelle grotte, à la suite de celle de l'Avent près de Bez, qui rappelle si bien celle de Vaucluse, à l'époque des grandes eaux, ce souvenir poétique de Laure et de Pétrarque. Ce sera un charme de plus pour les touristes qui visitent les environs curieux du Vigan. Des jeunes gens de Bez se sont munis de cordages et, arrivés à l'extrémité de la première grotte, après les avoir solidement attachés, se sont laissés glisser de la hauteur de 10 mètres environ. Après avoir touché le sol, en avançant, ils se sont trouvés dans un de ces beaux temples de la nature, encore vierges, entourés de mille candélabres, lires (?) et formes bizarres, qui (sic) dessinent les stalactites dans les travaux merveilleux de la cristallisation. Après avoir parcouru sa vaste étendue, à la lumière des torches résineuses, ils sont arrivés au bord d'une petite plage de sable, au delà de laquelle se présente un lac limpide qui se perd dans le fond de la grotte, miroitant les mille facettes de cette pittoresque architecture. J'apprends à l'instant qu'on vient d'en découvrir d'autres. composées de plusieurs chambres richement sculptées. Du reste, un de nos amis, savant minéralogiste, et d'autres géologues di'stingués du Vigan, nous ont dit qu'ils pensaient, d'après la nature et la disposition des terrains, qu'il s'en trouvait un très grand nombre, dans ce versant du Causse, s'étendant au loin sous ces vastes plateaux... "
" Pons, D. M. "
Malgré le bruit fait par la découverte en question, les deux évents n'étaient encore qu'imparfaitement connus lors de notre exploration de 1905. Ils se trouvent tous les deux en face de Bez à une hauteur d'environ 100 mètres et débouchent au fond de petites criques contiguës. Celui de l'est porte le nom de son propriétaire. M Brun ; celui de l'ouest n'a pas de nom spécial.
- On entre dans l'évent de Brun par une ouverture très pittoresque. On y trouve d'abord un petit lac souterrain puis une grande et belle galerie ornée de remarquables concrétions et haute de 10 à 15 mètres. A une distance de 70 mètres environ, un puits profond de 7 mètres s'ouvre sur la paroi de gauche. D'autres ouvertures se remarquent à travers les interstices des blocs qui indiquent la présence d'un second étage occupé par l'eau à un niveau inférieur. Brusquement le sol se dérobe sous les pieds, et ce n'est que par un puits de 15 à 20 mètres de profondeur totale qu'on peut avoir accès dans le second étage. La descente se fait au moyen d'une échelle en corde sur un mamelon formé par des éboulis. Au bas de ce talus, un lac mystérieux aux rives de sable fin s'étend devant nous et le magnésium ne parvient pas à nous en faire voir la fin. La largeur du couloir est ici de plus de dix mètres et sa hauteur très considérable. Nous percevons fort nettement dans le fond un bruit de cascade. Malheureusement, pour aller jusque-là, le bateau démontable serait de toute nécessité. Derrière nous, et contre la paroi, un tout petit ruisselet court rejoindre d'autres bassins d'eau au sortir desquels il ira former une source sur les bords de l'Arre.
L'évent de l'ouest est d'un accès beaucoup plus difficile, à cause d'un éboulement qui en masque l'entrée. Il débute par une immense salle à voûte plate et basse et à pente extrêmement inclinée (20 m. de dénivellation). Vers le fond s'ouvre un large tunnel uniforme interrompu, lui aussi, brusquement par un puits de 30 mètres de profondeur totale. Nous avons observé un point un curieux travail des eaux qui se traduit par la formation de quatre étages de galeries (V. la coupe). Une nappe d'eau, très resserrée entre les parois, occupe encore le fond de la grotte. Mais sa profondeur, très considérable, et ses rives escarpées en rendent les abords périlleux. Ici encore le bateau est indispensable. L'écoulement des eaux souterraines s'effectue en temps ordinaire par une autre petite source tributaire de l'Arre. A l'époque des grandes pluies. les deux petites sources ne suffisent plus à débiter la grande masse des eaux qui affluent par toutes les artères souterraines du Causse. Alors l'eau remonte en arrière. remplit toutes les cavités et vient jaillir en cascades pittoresques par les ouvertures des évents. C'est un très beau spectacle que les habitants des villages voisins viennent chaque fois contempler avec un plaisir toujours nouveau.
Étant donné le niveau à peu près semblable des deux exutoires et le peu de distance qui les sépare. on pourrait se demander s'ils n'ont point une commune origine et s'il n'y a point ici, comme à Las Fonts, un grand delta de sources. Mais nous ferons observer que les crues sont loin de concorder chaque fois et que la direction intérieure des couloirs est très divergente, ce qui rend l'hypothèse assez peu probable.
En somme, nous pensons que l'évent de Brun sert d'exutoire à toute la plaine des Biques ainsi qu'aux avens du Buquet et de la Rabassière. Celui de l'ouest communique très certainement avec les différents étages de l'aven des Trois Taulières.
9) CONCLUSION.
En résumé, le ruissellement superficiel, comme nous l'avons déjà dit, est à peu près nul sur le Larzac. Les eaux n'étant retenues par aucune végétation, s'engouffrent immédiatement dans des Milliers de crevasses et vont former les rivières souterraines que nous avons vues reparaître au fond des gorges profondes. Nulle part on ne trouve la trace de ces réservoirs d'immense étendue qu'on supposait jadis exister dans les entrailles du plateau. Partout l'eau descend d'étage en étage le long d'étroites fissures souvent impénétrables. La Vis. qui sort toute formée de l'intérieur du sol, ne reçoit que des affluents souterrains. Son histoire géologique est une des choses les plus curieuses que nous avons étudiées. Malheureusement. c'est avec une profonde tristesse que l'on constate dans quel état de sécheresse et d'abandon est parvenu ce pays par l'imprévoyance de l'homme même.