August-Jacme GAUTIER
(lo felibre de la Lironda)
(1860?-1883)


LA CENDROUSETA

Poëme Languedocien

(sous-dialecte de montpellier et de ses environs)

par Auguste Gautier

Précédé d'un Conte populaire recueilli à Gignac (Hérault)

ET D'UNE PRÉFACE

PAR

A. ROQUE-FERRIER

MONTPELLIER

IMPRIMERIE CENTRALE DU MIDI

1882

 

PRÉFACE

Il n'est pas de récit populaire plus justement connu que la gracieuse histoire de Cendrillon. La version des Contes des fées de Perrault a, sur les deux rives du Rhône, des équivalents auxquels font parfois allusion les auteurs languedociens et provençaux : l'abbé Favre, voulant marquer combien il était peu vraisemblable que la grand'mère de Jan l'an pres eût acquis par le travail le trésor que celui-ci découvre dans un coin de son habitation, a dit :

«Vos comprenètz ben, Monsur lo baron, que ma grand aviá fach aquela pacotilha dins lo bòn temps, e que se Truqueta l'aviá pas mesa de la societat, ela se i èra ficada d'ela-mema; car de creire qu'agèssa ganhat aquò dins son comerce d'alumetas, l'òm creiriá pus lèu l'istoèra dau Drapet o aquela de Cendroseta-Bachasson [1]».

Et il est permis de supposer que le nom complémentaire de Bachassoun, qui devient Bachajou à Lansargues [2], est la forme de Sommières (Gard), où le populaire prieur de Celleneuve vint au monde.

Castil-Blaze, né à Cavaillon en 1784, change la Cendrouseta de Favre en Cendroleta [3], dans un endourmitòri provençal que n'ont pas connu les éditeurs du Liame de rasin [4] :

Ié fòu counta la Barba-Bluia

E leis exploits dóu Gringalet,

Qu'ame soun grand sabre lou tuia

Aquo bessai l'endourmiet,

Bessai l'endourmiet.

Ie fòu canta la Cendrouleta

E lou pichot pichot-poucet [5]. (bis)

Dans un discours prononcé en 1867 devant l'assemblée générale du Félibrige, M. Mistral, comparant la langue de la Provence à 1'héroïne du conte qui nous occupe, la nomme, lui aussi, Cendrouleto. Le passage qui la concerne signale même certaines particularités de la version qui a motivé cette allusion poétique :

« La lengo èro chauchado, abandounado, agarrussido, coumo la pauro Cendrouleto... e Cendrouleto boufo-fio, tant lèu que sa meirino, la fado di bon vers, l'a toucado de sa broco, a caussa gaiamen lou sabatoun de vèire, e vuei, coumo une nòvio, à si sorre despichouso pòu moustra, elo peréu, si jouièu, si beloio e sa courouno de Coumtesso [6]. »

Ce nom, ou plutôt cet adjectif, subit, d'ailleurs, de nombreuses modifications: il devient cendraussou dans le sous-dialecte de Saint-Pons (Hérault) [7]; le Dictionnaire d'Honnorat mentionne, 1, 455, « cendrouseta, cendrouleta et cendroureta », une «petite cendrillon », une «jeune fille qui ne sort point de sa maison » , ainsi que, 1, 437, « cata-cendrouleta, cendrillon, demoiselle qui ne quitte presque jamais le coin du feu, comme les chats »; M. G. Azaïs signale, 1, 411 et 423-424, cato-cendrouleto, cendrouseto, cendrouseto-bachassoú, cendrassouno, cendrausselo, cendrouleto, cendroureto et cendroulieiro; l'almanach provençal du Cacho-fio pour l'année 1882 renferme, enfin, les formes rnasculines cendroun, cendròri et cendroulet, qui se relient au conte de Cendrillon, si l'on en croit les vers suivants:

Se vous agrado de m'entèndre

Jóusè, Tounin, Rose, Lisoun,

Leissas qu'empure lou tisoun

E que tire mi pèd di cèndre.

Siéu fraire dóu cascarelet

E, coume éu, cerque qu'à vous plaire;

M'apelarés, se vous fai gaire,

Cendroun... cendràri.. o cendroulet [8]

La version suivante de cette « sorne » si généralement connue m'a été donnée par M. Emilien Hubac, de Gignac (Hérault), à qui je devais déjà les quatre contes languedociens (la Mairastre, lou Lauraire, Mitat de Gal et la Pèl d'ase), publiés dans la Revue des Langues Romanes en 1874 et tirés à part sous le même titre en 1878 [9]. Elle semble avoir un caractère plus local que la Pèl d'Ase, qui a subi peut-être à la longue l'influence du récit de Perrault [10]. Les deux contes ont cela de commun que la bague, dans le premier, et la pantoufle dans le second, permettent au fils du roi de retrouver celle qu'il aime, et de l'épouser [11].

En reproduisant dans ses éléments essentiels la narration languedocienne de M. Hubac, l'auteur de la Cendrouseta a su l'embellir en même temps de toute la parure d'une versification naïve et charmante, comme il convient, du reste, lorqu'un poëte digne de ce nom s'approprie les thèmes, toujours jeunes et vivants sous leur vêtement on ne sait combien de fois séculaire, de la littérature rustique des nations européennes.

La Cendrouseta a été lue par M. Gautier, le 7 mai 1882, en présence de MM. V. Alecsandri, William-C. Bonaparte- Wyse, Gabriel Azaïs, Langlade, Louis Roumieux, Antonin Glaize, et d'un grand nombre de poëtes méridionaux, à la félibrée tenue sur la terrasse du château de Clapiers. Le succès qu'elle y obtint confirma pleinement la décision par laquelle la Maintenance languedocienne du Félibrige avait attribué, quelques jours auparavant, un rameau de laurier au jeune et brillant poëte montpelliérain.

A. ROQUE-FERRIER.

[1]. OEuvres complètes, languedociennes et françaises, de l'abbé Favre, publiées sous les auspices de la Société pour l'étude des langues romanes. Montpellier, Coulet, 1878, in-8°, I, 111.

[2]. Indication donnée par M. Langlade. En 1830, le nom de l'héroïne de ce conte était encore, à Montpellier, complété par le surnom de Batajou. Je dois ce renseignement à l'obligeance de M. Desplan père (de l'Imprimerie centrale du Midi).

[3]. Substitution de l's à 1'l, dont il existe des exemples anciens, et dont la langue moderne témoigne assez souvent. Cf. trefosir pour trefolir (griller d'envie, d'impatience ou de joie), à Castelnaudary et carnavas pour carnaval (carnaval), à Marseille.

[4] Un liame de rasin, countenènt lis obro de Castil-Blaze, Adóufe Dumàs, Jan Reboul, Glaup e T. Poussel, reculido e publicado pèr J. Roumanille e F. Mistral. Avignoun, Roumanille, 1865, in-12.

[5] MM Montel et Lambert ont réédité cette berceuse dans la Revue des Langues Romanes, 2e Série, 1, 180, d'après une communication due à l'obligeance de M. Barrès, le savant bibliothécaire de la ville de Carpentras.

[6] Fragment cité, Revue des Langues Romanes, 2e série, III, 250.

[7] Flouretos de Mountagno, poésies languedociennes, par M. Melchior Barthés. Montpellier, Imprimerie centrale du midi, 1876; in-12, p. 374 (Comédie du Plaidejaire.)

[8]. Lou Cacho-fiò, annuàri prouvençau pèr l'an de gràci 1882. Avignon, Durand, 1881, in-8°, p. 74. Ces vers ne sont suivis d'aucune signature.

[9]. Quatre Contes languedociens recueillis à Gignac. Paris, Maisonneuve, 1878; in-8°, 42 pages.

[10] La version catalane de M. Maspons y Labros (lo Rondallayre, cuentos populars catalans, II, 72), qui ne peut avoir été altérée par le récit des Contes des fées, est, sauf quelques détails secondaires, semblable aux versions française et languedocienne.

[11] La Cendrouseta a déjà paru dans I'Iòu de Pascas, armanac rouman per l'annada 1882. Mount-peliè, Empremariè centrala dau Miejour, 1882; in-8°, 122 pages, p. 7-9.