Beaugrand : la légende.

... en 1978, un projet de longue date échafaudé dès 1971 a pu être mis en chantier: le pompage de Beaugrand. En 1974 et 1976, le cirque de Gourgas avait été prioritaire, devançant l'Hortus, regroupant l'équipe dans de fabuleux pompages au Banquier et à l'Aven-Event... Mais l'Hortus restait cher au coeur de notre maître René Roux....

.... et une cavité lui paraissait stratégique: Beaugrand (N°1 sur la carte).

 

René estimait que le réseau du Calaven de la Séoubio (N° 2 sur la carte) était connecté à Beaugrand qui devait en constituer la résurgence primitive. Puisque Beaugrand, à l'encontre de Lauret (N°4 sur la carte), ne présentait pas d'écoulement en sécheresse, le maître imaginait qu'à l'étiage ces réseaux de bordure est du plateau étaient capturés par la Liquisse. Beaugrand, trop plein ne fonctionnant qu'en crue, devait donc réserver des galeries exondées explorables. C'est ce qu'avait prophétisé le grand maitre dans son Inventaire spéléologique du Causse de l'Hortus.

Restait à pomper le siphon franchi en 1971, et dont les continuations étroites et déchiquetées avaient rebuté les plongeurs.

Ce pompage avait été tenté avec des moyens légers l'été précédent, sans succès. Cette année, soigneusement organisé par les Paloc, ce fut une réussite technique parfaite. Aussi René était-il là, immobile, recueilli, au bord du siphon, avec sa pipe, pour guetter le frémissement de l'air lorsque la voûte mouillante se désamorcerait. Déception: pas le moindre courant d'air. Beaugrand, comme les Lauzières, s'annonçait comme une cavité close. En tout cas non ventilée... Bien sûr, par acquis de conscience, René s'engage dans les boyaux fangeux et hérissés de lames d'érosion tranchantes. C'est très scabreux, franchement étroit... mais cela continue...

J'arrive d'un camp sur le causse Méjan avec Michel Roux et Robert Bourdel alors que le siphon vient de se désamorcer. Nous trouvons notre René étendu, goguenard, au pied d'un arbre. C'est l'heure de la sieste. Le cirque de Beaugrand est éblouissant de soleil, la chaleur y est étouffante. René nous décrit ce qu'il a vu. Un souvenir terrible lui revient à l'esprit: Véronique. La légendaire "galerie des fakirs" que tous ont déclarée "humainement terminée"...Et en pire, peut-être.

Les heures passaient, dans le cri des cigales. Le sourire de René s'épanouissait peu à peu.

- Ouh, que je suis content d'être sorti de là... Oh, la, la...
Il regardait avec ravissement sa montre:
- Qu'est-ce qu'ils doivent en baver...

Effectivement, d'informes blocs de glaise s'extirpent de la grotte, confirmant ce qu'avait décrit René. C'est étroit, glaiseux, labyrinthique... Les explorateurs ne sont pas très pressés d'y retourner... La branche principale s'arrête sur un puits après 257m. Il y a sur la droite d'autres boyaux plus étroits à voir. Il y a sûrement plusieurs hectomètres, mais c'est vraiment peu attrayant.

Pierre Sferlazza, qui s'est aventuré dans le boyau de droite, en revient pourtant très enthousiaste. Il a découvert, nous assure-t-il, un collecteur 3x3. René rit: il n'y croit pas le moins du monde. Effectivement, le collectur Sferlazza n'est qu'un immonde boyau à peine moins étroit que le terrible "méandre Paloc" qui y donne accès. On arrive à y mesurer au décamètre 225m. Pour buter sur d'étroites flaques bourbeuses que nous nous paierons le luxe de baptiser avec emphase siphon Chantal et siphon Carole. En fait, ce réseau n'est qu'une dérivation du conduit principal au fond duquel l'exploration s'est arêté sur un horrible puits subvertical tapissé de boue épaisse et gluante. Le puits Carrine: les échelles y disparaissent sous plusieurs dizaines de centimètres d'argile molle. Mais en bas, les derniers participants restés en lice ont la satisfaction de découvrir enfin un réseau de conduites forcées plus sympathique. On n'est plus à plat ventre, on marche. Sur quelques dizaines de mètres, sur une plage déclive aboutissant à un vaste siphon (siphon Christelle). Latéralement, la continuation reprend vite une allure très "beaugrandienne" (comme dira Pierre Sferlazza: je croyais pourtant que ce serait beau et grand). Deux galeries rampantes et glaiseuses de 120m. L'une d'elles revient vers la galerie Sferlazza et le siphon Carole, bouclant virtuellement le parcours de cette dérivation de calibre exigu. L'autre, après une reptation monotone, aboutit soudain à une belle galerie semi-noyée de section carrée. On est à nouveau debout. Mais il faut rapidement nager dans l'eau profonde. La voûte s'abaisse. Et, après 94m, cette "rivière Irène", clou des profondeurs de Beaugrand, bute sur une voûte basse tangentant l'eau. Toujours pas de courant d'air...

René avait raison. Il y avait bien un réseau exondé conséquent à Beaugrand. Nous en avons même topographié 1512m. Les plongeurs qui nous ont succédé en ont douté. Le plus médiatique d'entre eux, le très illustre Frank Vasseur, est franchement sarcastique à ce sujet. Il qualifie d'estampe japonaise la réduction schématisée de ce plan, publiée à l'époque. On sussure même qu'il douterait de l'existence des conduits en question, à vrai dire calibrés pour individus plutôt filiformes... Il y a pourtant eu un décamètre et une boussole trainés à grand peine dans ces infames boyaux...

La prophétie de René était exacte, mais le maître n'avait pas imaginé que ce serait aussi étroit et aussi sinistre. Il avait un aphorisme désabusé pour décrire ce genre de situation. Je crois bien qu'il nous le ressortit à cette occasion:

- Les gars,vous pouvez attaquer n'importe quel réseau, où que ce soit. Même les plus fabuleux. Vous finirez toujours à plat ventre dans la boue liquide...

Si vous préférez du sérieux, notre monographie de cette cavité publiée en 1980: LE PLATEAU DE L'HORTUS ET LA GROTTE DE BEAUGRAND (Lauret Hérault) par Jean-Frédéric BRUN (G.E.R.S.A.M.) Spelunca, 4e Série, 20 (1980) N°2 pp 51-54.
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Si le virus de l'Hortus vous a infecté pour la vie, ne manquez pas l' Inventaire spéléologique du Causse de l'Hortus (Hérault), oeuvre culte de René Roux, gourou karstoplanétaire du GERSAM Montpellier (Hérault).