3. Quelques données statistiques de ces niveaux de galeries.

3.1) Les longs réseaux sont en dessous de 500m.

Nous faisions allusion en débutant à la fréquence accrue des conduits excédant 50 ou 100m dans les zones basses actives au dessous de 200m. Ce fait est assez général dans les garrigues où aucune grotte de versant fossile ne donne de longs systèmes de galeries, à moins de recouper des puits donnant eux mêmes sur le réseau (on parle alors de grotte aven). La Séranne illustre cependant, grâce à l'aven de la Leicasse, l'existence réelle de ces réseaux profonds, de développement considérable et de dimensions surprenantes, dont les spéléologues ont longtemps rêvé en craignant qu'il ne sagisse que d'un rêve un peu fou. Les vastes systèmes de galeries qui ont été creusé depuis le miocène existent, en profondeur, et sont pénétrables. Mais ils sont inaccessibles, à part passage fortuit par un aven, ou un creusement artificiel comme au grand Bousquet ou aux Claris, hors de notre zone. A proximité des versants, il existe une zone critique où le remplissage par concrétionnement est très actif, verrouillant de façon constante l'accés de ces réseaux fossiles. Grâce aux réseaux de la Leicasse et du Grelot, on peut retrouver ces galeries profondes qui se dirigent vers le versant et sont obstruées à quelques dizaines de mètres de baumes repérables en surface.

Le nombre de ces conduits connus est encore réduit, mais on peut déjà énoncer quelques observations statistiques. Ainsi c'est à une altitude inférieure à 500m, dans ce massif, que ces galeries ont quelques chances d'être vraiment longues. Sur 193 galeries répertoriées, 84 sont au dessus de 500 et 109 au dessous. La probabilité statistique de dépasser les 50m n'est pas différente dans ces deux catégories de conduits (respectivement 30,9% et 29,4%). Par contre la proportion de galeries excédant les 100m est supérieure en dessous de 500m (22,9% contre 11,9% p=0.043) et ceci est encore plus vrai pour la fréquence des conduits supérieurs à 1000m (30,3% en dessous de 500m contre 1,19% en dessus, p=1,88.10-8). On peut penser que les conduits horizontaux antérieurs à la surface S2 sont trop anciens pour persister sur de longs tronçons, ou que leur position trop surélevée ne leur a pas permis de drainer des écoulements suffisants pour les maintenir ouverts. Les avens (jusqu'ici imputés au Quaternaire) qui ont pu les "rajeunir" et les déblayer plus récemment, s'ouvrent surtout entre 500 et 600m: lorsqu'ils ont drainé des eaux vers ces conduits, ils ont donc favorisé la concentration des écoulements dans des conduits situés à des altitudes inférieures.

 

3.2) Directions de galeries.

 

Sur la Sellette, chaîne un peu symétrique de la Séranne mais de moindre altitude, nous avions observé de façon frappante une prépondérance des directions EW de galeries au dessus de 300m d'altitude, les galeries plus basses ayant au contraire surtout des directions NS.

 

On pouvait ainsi penser que les karstifications très anciennes (contemporaines du Miocène ou encore plus anciennes) avaient davantage utilisé une gamme de fractures disponibles alors, qui auraient par la suite été peu propices au creusement de galeries. Compte tenu des conceptions actuellement en faveur sur les étapes de la tectonique régionale, l'explication de ces données n'était d'ailleurs pas très claire. Toutefois, l'observation ponctuelle de certains réseaux du Larzac Sud, et particulièrement du Cochon, nous semblait aller aussi dans le sens de l'existence de très anciens réseaux EW et de réseaux NS plus récents. Il restait à démontrer ces intuitions de façon mathématique ailleurs que sur la Sellette. A vrai dire, nous nous attendions à retrouver sur la Séranne la même particularité que sur Sellette, c'est à dire de hauts niveaux à prédominance EW. En 1994 on peut ébaucher ce type d'analyse sur 109 conduits. Dans l'ensemble 46,8% ont une direction préférentielle N à NE, 22 % une direction NW, et 31,2% une direction W. En les classant par tranches d'altitude on ne parvient absolument pas à déterminer une fréquence accrue des directions EW dans les niveaux les plus hauts, qui sont supposés être les plus anciens. Ce qui est statistiquement irréfutable sur la Sellette n'est donc plus vrai sur la Séranne.

Comment interpréter cette différence entre deux chaînes voisines et parallèles? Nous voyons deux explications possibles. Première possibilité: la prédominance des axes EW dans les hauts niveaux de la Sellette ne serait pas liée à la tectonique, mais à une orientation différente du drainage dans les époques anciennes? Deuxième possibilité: sur la Séranne, les grandes fractures subméridiennes de la distension oligocène sont omniprésentes. Leur importance et leur disponibilité particulière pour la karstification leur fait exercer une sorte de "dictature" qui masque l'importance d'autres types de cassures. Lorsque les échantillons de topographies seront plus nombreux (et en particulier lorsque la topo des 15000m de la Leicasse, à laquelle nous travaillons, sera disponible) on pourra peut-être révéler des "finesses" que l'état actuel des connaissances ne permet pas de décrypter.