Lídia de Ricard dicha Dulciorella

(1850-1880)

" l'art et l'équité furent toujours son inséparable culte "

 

la "persuasiva egeria" dau felibritge roge

de 1874 a 1880

Son espós Loïs-Xavièr de Ricard i dediquèt en abriu de 1877 un poëma ont la despinta, ligada als jòcs de la lutz dins l'aiga de Les... Lídia e Les, lo riu e sa poëtessa, son en simbiòsi, en armonia. L'un es lo rebat de l'autra...

Ton amour est le Lez, qui, tout squammé d'éclairs,

translucide et joyeux, en ondulant s'abrive

entre le chant feuillu des arbres, que sa rive

mêle en ombre diffuse au reflet des cieux clairs.

 

Le Lez a le regard profond de tes yeux vairs

en ses golfes calmés, où son eau plus tardive

s'alentit sous la fleur des nymphéas, oisive

lueur jaune au milieu des cils de ses joncs verts!

 

 

Comme lui, ta pensée entraîne des mirages

de coteaux assombris de pins, et de villages

poudroyants, où s'érige un long clocher vermeil;

 

de champs herbus, charmés de senteurs vivifiques

e d'ermas rocailleux, tout rongés de soleil

où rêvent des pâleurs d'oliviers pacifiques !

Biografia de Lídia

(per LX de Ricard en prefaci de son recul postum "Au Bord du Lez").

Lydie Wilson naquit en 1850 à Paris, de famille écossaise par son père et flamande par sa mère, mais d'un flamand très francisé, et peut-être mitigé de quelques gouttes de sang espagnol. Son père était dans le commerce, mais très passionné, - en dilettante, - pour la peinture, autant que sa mère l'était pour la musique. Ces deux courants s'unirent en Lydie qui, tout enfant déjà, très réfléchie, très observatrice, - témoigna d'une organisation tout spécialement intellectuelle et artiste. Et, dès sa jeunesse ayant assisté, chez mes parents, à l'éclosion et à tout le mouvement du Parnasse contemporain, auditrice très attentive de nos théories et de nos vers, ses préférences allaient directement à nos maîtres, surtout à Leconte de Lisle; leurs livres que je lui prêtais, ainsi que ceux de mes amis, décidèrent de ses tendances artistiques, en même temps que, passionnée de justice et de liberté, elle s'enquêtait en toute conscience des problèmes et de leurs solutions. - Car ces deux préoccupations égales l'art et l'équité- furent toujours son inséparable culte.

Puis elle partit pour l'Angleterre, où elle passa quelque temps dans un pensionnat, à Kenilworth. Elle en revint, sachant et parlant admirablement l'anglais, mais peu sympathique à cette nation qui la révoltait par ses égoïsmes et ses hypocrisies. Pourtant elle en rapportait deux admirations qui eurent une grande influence sur elle : Shelley et Robert Burns. - A cette époque, très artiste déjà, son choix n'était pas encore fait entre les arts qui semblaient la solliciter presque égailement; ainsi, excellente musicienne, mais, sans exclusivisme, éprise de l'école nouvelle et des vieilles chansons populaires, elle se sentait curieuse aussi de la peinture; et comme sa soeur cadette Jeanne était, elle, poussée très décidément vers cet art, leurs parents résolurent de leur donner un maître. Elles étudièrent toutes deux ensemble d'abord chez un peintre dont je ne me rappelle pas le nom, ensuite dans l'atelier de M. Dupuis, tué depuis si malheureusement en duel, et qui, s'étant compromis dans la Commune, rentrant alors d'un exil récent en Angleterre.

Des livres comme celui-ci ne sont destinés qu'aux gens qui savant lire. Ils sont au delà de la préhension intellectuelle des personnes qui font leur coutumière alimentation intellectuelle de la littérature des faits divers, et de celle, - moins littéraire encore, - de certains feuilletons. A ces personnes ce livre serait, pour user d'un terme de troubadour, du parler clos. Mais les autres y décèleront des qualités d'observation, d'analyse, et des subtilités de sensation et de rendu qui leur feront comprendre pourquoi d'abord attirée par tous les arts, Lydie sinclina de plus en plus vers la poésie qui, avec la musique, était seule capable de l'exprimer. Pourtant ses études picturales, en achevant l'éducation de ses yeux, lui furent plus qu'utiles, et lui perrnirent de voir mieux, et de sentir avec une plus grande précision les couleurs et les formes. - Ce ne fut qu'en 1873, que son option fut faite et définitivement pour la littérature; cette année même elle devenait ma femme; nous partimes aussitôt nous rapatrier dans le Languedoc (à Montpellier), où m'attiraient, comme elle disait, « des appels de sang et d'un long atavisme. »

Le Midi fut pour elle une révélation; il semble qu'elle y trouva ce que Gautier a appelé quelque part la patrie et le climat de son âme. On verra aujourd'hui par ses poésies, plus tard par ses admirables lettres, l'extraordinaire impression qu'elle reçut de la nature de là-bas, et surtout de cette lumière méridionale qui donne à la fois tant de précision et tant de prestige aux moindres choses.

Je l'ai dit : artiste, elle ne se croyait pas autorisée, pourtant , a vivre égoïstement hors de son temps et surtout hors des idées de son temps. Elle accepta, et fit mieux, elle encouragea, par sa collaboration quelquefois très directe, tous les combats où je m'engageais très avant, pour les causes que je croyais et crois encore les bonnes causes. Elle s'éprit, comme moi, de l'histoire languedocienne, et, avec plus de ferveur pour le Midi que bien des Méridionaux, devenus indifférents et même hostiles à tout ce qui est de chez eux, elle acquit d'incontestables droits à l'indigénat par l'étude passionnée de tout ce qui est 1'âme du Languedoc, et aussi de sa langue, expression nécessaire et indéfectible de cette âme. Les dialectes d'oc la charmèrent par la nouveauté, par la précision, par la saveur de leurs vocables si expressifs et si pittoresques, et la vie vraiment lumineuse qui y circule. Elle apprit celui de Montpellier assidûment, non seulement par le parler qu'elle entendait autour d'elle ; mais sentant que cette langue était une friche qu'il fallait cultiver, elle l'étudia littérairement, dans les oeuvres des Félibres : elle remonta jusqu'aux troubadours; car sans la tradition point d'art ni de littérature - et on ne peut refaire la tradition de la langue d'oc qu'en se rattachant à sa grande période littéraire, celle des troubadours. Elle n'a certes pas rêvé de bouleverser la syntaxe languedocienne, pas plus que la française; et si subtile qu'elle fût parfois en ses sensations, elle croyait que le rendu pouvait être aussi subtil sens recourir à l'inintelligibilité.

Elle ne s'effrayait pas des archaïsmes comme on le constatera; car ils constituent, avec les locutions populaires et les néologismes bien faits, un matériel d'expressions nécessaire aux jeunes littératures qui recommencent et aux vieilles qui se renouvellent, - obligées qu'elles sont les unes et les autres de rejeter souvent, pour l'exact et minutieux rendu de sentiments neufs ou rajeunis, de vocables usés, n'ayant plus qu'une valeur de convention et d'à peu près dont un artiste consciencieux ne peut se contenter. - C'est ainsi qu'elle fut amenée aux troubadours et qu'elle devint félibresse.

Mais, à ce moment, en 1874-1875, le félibrige, - il n'est plus besoin d'expliquer ce mot, tout le monde sait que l'on désigne ainsi une association d'ailleurs très libre d'hommes travaillant, chacun à sa façon, -au relèvement du Midi, - le félibrige n'avait encore reçu qu'une organisation très rudimentaire. Pourtant le mouvement de cohésion commençait. Le Languedoc avait, lui aussi ses Félibres, mais nullement unis. Ils produisaient chacun dans l'isolement, cantonnés en leur ville natale ou dans leur petite localité. On sentit le besoin de s'agréger, pour donner à l'ensemble des efforts individuels cette force collective, sans laquelle ils restaient presque inutiles.

Ecrivant alors à la République du Midi de Montpellier, j'y poussai autant que possible à cette cohésion, et en même temps je protestais contre la tendance qu'avait eue jusque-là le félibrige, surtout en Provence, à vouloir ranimer, ou pour dire plus exactement, ressuciter sous le nom de Renaissance beaucoup trop de choses du passé politique et religieux.

Confondre cette renaissance littéraire en la cause de ces choses mortes, c'était la déclarer inviable et la condamner à la stérilité. La publication de ces articles nous créa des amitiés, toutes restées depuis; et parmi, une amitié, qui est plus qu'une amitié, qui est une véritable fraternité d'esprit et de coeur, et qui a failli en devenir une de sang : celle de notre grand félibre languedocien, Auguste Fourès, l'auteur des Grilhs et récemment de les Cants del Solelh.

Cette amitié, la même après vingt ans, sinon plus resserrée encore par de communes douleurs, fut, dans notre vie littéraire, un avènement qui a été décisif. Très admirateur de Mistral et d'Aubanel, et de Félix Gras, avec lequel nous sympathisions non seulement dans le félibrige, mais aussi en bien d'autres idées; nous sentions pourtant qu'il fallait revendiquer pour les dialectes languedociens, tenus un peu en tutelle et presque en mépris à Avignon, l'autonomie et le droit d'être qu'on semblait leur contester; et en même temps, par une affirmation d'éclat, prouver que le félibrige n'était pas hostile aux idées modernes, ni inféodé, sinon avec quelques personnes qui ne l'engageaient pas collectivement, à l'Église et à la réaction.

Nous avions, à Avignon et dans les admirables félibrées de 1876-77, communié cordialement avec tous les Félibres unis, au-dessus des dissentiments politiques, dans le même amour à la patrie d'oc et le même dévouement à la Renaissance méridionale.

C'est dans cette conviction que nous fondâmes avec Fourès l'almanach de la Lauseta, qui parut en 1877, et qui, comme nous l'espérions et le voulions, marque, par ses très nettes affirmations républicaines et languedociennes, non pas une scission dans le Félibrige, mais au contraire une phase nouvelle de son développement: c'est-à-dire son expansion hors de Provence et des vieux partis, où il s'était claquemuré jusque-là. Mais je n'insiste pas sur cet épisode de notre Renaissance, qui sera raconté à part. Je devais pourtant l'indiquer parce que la Morte dont je publie les oeuvres fut l'âme de ce mouvement comme d'un autre, provoqué en même temps; d'une alliance entre les lettrés des peuples latins. Car déjà l'A1ouette s'était intitulée almanach du Patriote Latin, et comptait en effet parmi ses collaborateurs, en outre des écrivains français de langue d'oïl et de langue d'oc, des italiens, des espagnols, des suisses et des roumains ; la société que nous avions rêvée entre les lettrés de tous ces peuples, les lettrés des langues officielles comme des langues locales, fut bien près d'être un fait accompli. Depuis, cette idée de fédération latine à laquelle Lydie s'était vouée très ardemmcnt, a fait des progrès, et la société fondée subsiste encore à Paris, où elle a été maintenue par un ami des premières heures, lui aussi, Edmond Thiaudière.

Ce n'est pas seulement par la création de notre almanach et de la Revue qui, ensuite, lui fut annexée: l'Alliance latine, que se manifesta la coopération active de Lydie dans nos oeuvres de Méridionalisme. Les premiers associés de la Cigale n'ont pas oublié la part qu'elle a prise, pendant un de nos séjours à Paris, à la formation de cette Société, dont les trois premiers fondateurs ont été le peintre Baudouin, le félibre Maurice Faure et moi, et - si je ne me trompe - les premiers adhérents, Jules Troubat et Jean Aicard.

Ce fut dans le ravissement des sites et des dialectes languedociens que Lydie, très défiante d'elle-même, parce que très exigeante, osa commencer à composer; et je me rappelle tout ce qu'il nous fallut de persistance, à moi, à Fourès et à quelques amis, parmi lesquels je citerai M. de Tourtoulon, pour la décider à publier, non pas ses premiers essais, condamnés par elle impitoyablement, mais des poèmes qu'elle tria, d'un choix qu'elle ne trouvait jamais assez sévère, parmi ceux qui la mécontentaient le moins. La plupart parurent soit dans notre Lauseta, soit dans l'Armanac de Lengadòc, publié par notre ami Arnavielle, un des maîtres de la renaissance languedocieine, soit dins la Revue des Langues Romanes, soit dans le volume de la Cigale, si mignifiquement édité par Fischbacher, soit enfin dans d'autres publications du Midi.

 

 

 

 

Morte jeune, ce volume est loin de la contenir toute entière. Vers la fin de sa vie, - déjà malade de la maladie qui devait si cruellement l'emporter et si tôt, elle rêvait, éprise des légendes et des chansons populaires, d'essayer sous une forme très artiste à la fois, très subtile et très simple, l'éducation des âmes enfantines, - et des féminines presque aussi infantiles, sinon plus. C'était, selon elle, le grand rôle qui appartenait à la femme, de se faire par l'art, l'éleveuse de toutes ces âmes, ignorantes ou obscures, et la consolatrice des dévoyées. Il ne lui fut pas permis de commencer la réalisation de ce rêve.

Pendant quelques années, nous avions presque vécu en plein ciel, dans l'eiifièvrement de tous les bons combats et la jouissance d'une nature passionnément admirée et aimée. Elle avait eu le bonheur de faire partager la joie de tout cela à sa soeur Jeanne qui, chaque année, venait passer quelques mois à notre mas; - et ce qui prouve la puissance, l'ensorcellement du Midi, sa soeur en devint, autant qu'elle, tellement enthousiaste, qu'elle ne le quittait jamais sans nostalgie. Merveilleusement douée et artiste aussi, la pauvre Albeta (petite Aube), comme elle fut baptisée félibresquement par Auguste Fourès d'un nom qui lui est resté dans tous nos souvenirs! elle avait concentré dans la peinture toutes ses facultés esthétiques. Déjà ses aptitudes s'affirmaient par mieux que des espérances de talent, et elle commençait à donner ce que ses maîtres et nos amis attendaient d'elle. Nous faisions, tout éveillés, de grands rêves, et nous voyions Auguste Fourès combattant plus étroitement encore avec nous trois, tous les combats déjà entrepris ensemble pour l'art, pour la langue d'oc et pour la justice.

Ces joies furent, comme toutes, de peu de durée. L'A1beto redescendit un jour de Paris, pâlie et languissante : bronchite, nous disait-on. C'était la phtisie.

D'abord nous crûmes qu'aidés du climat, et avec la complicité de toutes les vertus de la terre et du soleil du Midi et de nos affections, nous réussirions à ralentir le mal et à l'arrêter. Et nous avions, en effet, presque réussi. Malheureuseinent, rappelée à Paris, elle y perdait bientôt tout ce qu'elle avait reconquis d'elle-même. L'inquiétude et la tristesse entrèrent alors au mas pour n'en plus sortir. Et Lydie, comme elle l'écrivait à Fourès, eut le pressentiment « qu'elle avait vécu tout son bonheur et que nous nous acheminions vers la nuit. ».

La mort humaine, qu'elle n'avait Pas encore vue, lui apparut alors comme un présage dont elle fut épouvantée, dans un pauvre petit être presque humain en effet, qu'elle affectionnait beaucoup. Sa guenon, miss Auriola, comme elle l'avant appelée, s'éteignit dans ses bras avec une agonie d'enfant.

L'impression que lui fit cette mort fut terrible.

(...)

Le 2 Novembre de la même année, Jeanne, vec une sérénité d'enfant, expirait comme en rêve, balbutiante et le rire aux lèvres.

Je ne me sens pas capable de parler du désepoir de Lydie. (...) Avait elle contacté à soigner sa soeur, avec le dévouement d'une mère, la contagion du même mal? (...) Chaque jour le mal long l'affaiblissait davantage. (...)

Et quand, par une cruelle journée de Septembre, elle sentit la mort venir, elle l'accueillit non sans tristesse et sans regret, mais avec le calme et d'un esprit soumis et préparé à l'inévitable. - Elle n'eut pas une minute de faiblesse ni d'épouvante; ses dernières paroles, après un adieu à ses parents présents, furent pour me recommander de lutter pour nos idées, comme j'avais fait avec elle; et de la garder, elle, toujours vivante près de moi par le souvenir. Puis elle me pria de la réunir, là-bas à sa soeur, dans le même tombeau, au milieu de cette nature à laquelle elle devait tant de joie, et près de ce Lez que toutes deux elles avaient tant aimé. - Et, comme elle l'a voulu, elles y reposent ensemble en cette terre qui m'est devenue encore plus sacrée par ce double dépôt confié.

Elle mourut dans sa foi, sans hésitation, résolument comme elle avait vécu. Non l'euthanasie, la bonne mort, n'est pas dévolue aux seuls croyants des religions. En une vie où j'ai eu la douleur d'assister déjà à bien des agonies, nulle ne m'a apparu aussi sainte et aussi magnifique, aussi enviable que celle de cette jeune femme, s'évanouissant en pleine et sereine conscience de soi-même.