DIALECTES ANCIENS

PROCLAMATIONS


FAITES A ASSAS, PRÈS MONTPELLIER, PAR ORDRE DES SEIGNEURS

DU LIEU, EN 1483

I


Les amis de notre langue romane, si intéressante et néanmoins naguère encore si abandonnée, nous sauront gré de leur présenter,au début de nos publications,une pièce authentique, où ils pourront étudier le dialecte en usage, à la fin du XVe siècle, dans le pays que nous habitons. Nous avons cru qu'elle ferait plaisir non seulement sous le rapport de la linguistique, mais encore à cause des détails de moeurs qu'elle nous révèle, et qu'il sera curieux pour plusieurs de comparer avec les règlements de notre police contemporaine.

Nous avons tiré ce document des archives du château de Jonquières, qui sont les archives particulières les plus riches que nous connaissions dans la contrée. Outre celles de la maison de Vissec-Latude, dont était issu Jean de Vissec, évêque de Maguelone, on y trouve encore celles de la famille de Bonnal, qui a fourni un autre évêque du même siège et qui est éteinte dans la personne de Marguerite de Bonnal, femme de Louis de Pluviès, qui, ayant ou vingt-trois enfants [1], laissa pour unique héritière Françoise de Pluviès. Cette noble dame avait eu six frères [2] tués pour le service du roi Henri IV, et était soeur du gentilhomme qui arrêta Ravaillac, et lui arracha le couteau ensanglanté dans la rue de la Ferronnerie. Elle avait épousé Arnaud de Vissec de Jonquières, frère de Jean de Vissec de Fontès, tige des Vissec de Ganges. Nous avons retrouvé, l'an dernier, la pierre tombale qui couvrait les cendres d'Arnaud de Vissec et de Françoise de Pluviès; elle a été maintenue dans l'église de Jonquières, mais non sans combat. Pourquoi, en effet, exhumer ce que 93 avait enseveli?

Le bisaïeul de Marguerite, André de Bonnal, était de Ganges ; il eut trois fils: André, qui demeura à Ganges; Jean, qui fut l'évêque de Maguelone dont on voit encore le tombeau dans l'ancienne cathédrale, et Guillaume, seigneur de Salezon et d'Assas, par qui ont été conservées les proclamations que nous voulons faire connaître.

Guillaume avait acquis du commandeur de l'hôpital des SS.Simon-et-Jude, près le pont de Salezon, certaines terres à Salezon même, et dans les territoires de Mauguio et de Castries. La bulle de Pie II, donnée en confirmation de cette vente la première année de son pontificat (1459), le désigne par le nom de Guillermi Bonnalli, laïci mercatoris terrae Montispessulani. Cette bulle, dont l'original est conservé aux archives de Jonquières, est un monument de calligraphie duquel pend intact le sceau en plomb portant, d'un côté, les têtes de saint Pierre et saint Paul, et de l'autre, les mots: PIVS. PAPA. II, en trois lignes, avec un point devant chaque mot et une petite croix pattée en tête.


En 1486, Guillaume Bonnal ou de Bonnal (le nom est au génitif en latin) acheta de Rostang d'Assas, fils d'Hugues, la moitié de la seigneurie d'Assas, qui, dès 1155, avait été divisée en deux portions par le propriétaire, entre ses deux fils, Rostang et Guillaume. Dans la part vendue à Guillaume Bonnal, outre un château, la juridiction et les fonds ou propriétés, se trouvaient encore une ancienne tour assise au lieu d'Assas, dite tour de Conques, un collier de justice, des piliers de justice pour les condamnés à mort, et un vieux mas, situé en ladite terre, dit mas Lazert. Le possesseur de cette part faisait seul le service du roi pour toute la place. Assas et le chateau de Figaret, situé sur le terroir de Guzargues, limitrophe d'Assas, étaient tenus, en 1485, à un brigantinier pour le service de Sa Majesté.


Le successeur de Guillaume Bonnal à Assas fut Guillaume II, le plus jeune de ses enfants. Les deux aînés étaient morts sans postérité, et Secondin, le troisième, fut chanoine de Maguelone et prieur de Saint-Jacques de Prades. Guillaume II n'ayant pas laissé de successeur mâle, la terre d'Assas vint par substitution à un professeur de médecine nommé Jacques de Salamon, fils de Marie de Bonnal et de Jean de Salamon [3]. Ce professeur, ayant joui d'Assas une vingtaine d'années, ne laissa qu'une fille nommée Tiphaine, qui épousa le sieur de la Coste. La substitution fut alors invoquée par Marguerite de Bonnal, fille de Guillaume II, en faveur de son fils aîné, comme plus proche héritier mâle, et, après de longs procès aux parlements de Toulouse et de Guienne et aux chambres de l'édit de Castres et d'Agen, Jacques de Pluviès, fils de Marguerite, fut vainqueur et prit possession d'Assas. Il ne le garda pas longtemps: s'étant marié à Marie de Bagnols, dame de Saint-Michel et de la Roque, il vendit Assas, en 1592, au trésorier de France Timothée de Montchal.

Les amis de notre langue locale doivent être aussi les amis de l'histoire de notre pays, et ils nous pardonneront ces détails, qui, pour quelques-uns, ne seront pas sans intérêt. Revenons à nos proclamations, après avoir remercié M. le comte de Lansade, qui a bien voulu nous communiquer les papiers des antiques familles de ses ancêtres, documents précieux qui ne pouvaient tomber en meilleures mains.


Notre manuscrit est sur papier très-fort, d'une écriture fort nette et très lisible, sans aucune trace de ponctuation et avec fort peu d'abréviations [4]; il renferme trente-six articles, marqués à la marge en chiffres romains cursifs. Les deux premiers sont contre les blasphémateurs du nom de Dieu et des saints, et contre ceux qui, contrevenant aux lois somptuaires, portaient des vêtements prohibés. Viennent ensuite des règlements sur la dépaissance des bestiaux gros et menus, la propreté des fontaines publiques, la police des rues, la chasse, la pêche, les poids et mesures, les jeux d'argent, les femmes suspectes, le port d'armes, les chemins, les danses publiques, la police des chiens au temps où les fruits sont pendants dans les vignes, la défense de mettre le feu au chaume qui reste dans les champs (restouls) ou d'y mener paître les bestiaux avant la fête de sainte Magdelaine, défense probablement faite en faveur des pauvres gens qui y allaient glaner, etc...

Chaque article porte une pénalité applicable au délinquant. Excepté celle du premier article, qui consiste à avoir la langue coupée; celle de l'article IV, qui est de L livres, et celles des articles XII et XV, qui est de X livres, les autres pénalités édictées sont toutes pécunaires et varient entre LX sous et V sous. Il y a aussi des confiscations et l'emprisonnement au château.

Ces publications furent faites le 30 juin 1483, jour de saint Martial [5], fête patronale d'Assas, sur la place publique du lieu, par Etienne Lauzieras, lieutenant du baile et en présence du baile lui-même; aussitôt se présentèrent les trois syndics ou consuls d'Assas [6], qui, en cette qualité, protestèrent contre cette publication, surtout quant à la défense faite de détourner, dans les propriétés du habitants, les eaux des fontaines, sans la permission des seigneurs si ce n'est depuis le coucher du soleil le samedi, jusqu'à son lever le dimanche. Le baile leur offrit de leur donner copie de ces proclamations et les assigna au lundi suivant, à l'heure de tierce, pour alléguer leurs raisons.

Au jour et à l'heure fixés, les consuls comparurent, renouvelant leur opposition et prétendant qu'ils avaient coutume de prendre les eaux des fontaines, sans permission, toutes les fois qu'ils en avaient besoin. Alors intervint le procureur des seigneurs, exhibant un instrument reçu par Me Radulphe, notaire à Montpellier, en 1241, où étaient énumérés les droits seigneuriaux consacrés par l'antique usage. Cette pièce, insérée au procès-verbal, vise un arrêt rendu en la cour ordinaire de dame Béatrix, comtesse de Mauguio, sous l'année 1187, confirmant les principaux articles de notre proclamation et notamment, de la manière la plus formelle, celui auquel les consuls prétendaient s'opposer. Le baile demande aux consuls s'ils reconnaissent l'authenticité de cet acte et s'ils en réclament copie ; ceux-ci répondent qu'après la lecture qui vient d'être faite, ils retirent leur opposition et consentent aux prohibitions et défenses publiées; sur cette déclaration, le baile prononce que les proclamations faites sortiront leur entier effet, selon leur forme et teneur.

Nous venons d'analyser, aussi sommairement qu'il nous a été possible, deux procès-verbaux écrits en latin à la suite du texte roman qui fait l'objet de cette note. Ils sont de la même main et de la même écriture, qui est celle d'Antoine Salomonis, notaire public et royal de Montpellier. Il instrumente sur la place commune d'Assas, en présence du prieur de Sainte Croix-de-Quintillargues; de Jean Roq, prêtre du même lieu; de Jean Natalis, de Vendargues, et autres témoins étrangers à Assas. De Vendargues se dit de Vendranicis, et de Quintillargues, de Quintillanicis: le nom actuel en argues de ces localités ne vient donc pas d'ager. Ces publications furent renouvelées en 1507, 1521, 1523, 1584 et 1535, comme l'attestent des certificats notariés mis à la suite de l'original de 1483, qui servait probablement au balle et aux officiers du seigneur pour faire ces criées.


III


On pourrait faire plusieurs observations philologiques sur le texte que nous allons donner avec la plus scrupuleuse exactitude; bornons-nous aux suivantes :

La lettre finale du singulier féminin, qui est en roman languedocien -a ou -o (la porta ou la porto), se rapprochait déjà de l'-e, au temps de Louis XI, à Assas et à Montpellier; ainsi nous remarquons dans notre texte -. lengue, Vierges Marye, segnorie, esquille, ribieyre, une escudelade, cinquante, license, persone, diffamade, etc.

Cette forme finale en e est employée concurremment avec la forme en a, et nous trouvons aussi: persona, licensa, hora, terra, pena, fema, etc.

Nous pensons que cet a devait être adouci dans la prononciation et se rapprocher de l'e.

Remarquons encore : Dieu, condecieu, jurisdictieu, possessieu, lieuras, et non Diou, condiciou... C'est que certainement 1'u final ne se liait pas avec l'e pour faire une diphthongue; il se prononçait ou, et l'e intercalé après l'i se faisait à peine sentir dans la prononciation. On écrit encore aujourd'hui en provençal: Diéu.

Aux environs de Lunel, on conserve encore l'n dans vin et chins, tels que nous les trouvons ici.

Nous lisons encore bens (biens) et fen (foin, de fenum); Montpellier aujourd'hui garde l'n dans le premier de ces mots et le supprime dans le second.

Notons enfin les doubles formes : nuech et nioch, jour et jourt, cort et Court, loc et lioc, dengun et nengun.

Nous ne pensons pas qu'il soit besoin de mettre une traduction en regard du texte, que l'intelligence et la sagacité de nos lecteurs interprétera facilement. Nous nous bornerons à mettre au bas des pages quelques explications, qui même seront inutiles pour le plus grand nombre.


L'abbé Léon Vinas, Membre de la Société pour l'Etude des Langues Romanes.


[1] Neuf garçons et quatorze filles.

[2] Dont quatre commandants en chef.

[3] Nous trouvons ce nom écrit parfois Salomon.

[4] Les i sont indifféremment marqués d'un accent on d'un point, souvent ils ne portent ni l'un ni l'autre de ces signes.

[5] Saint Martial est le 30 juin au martyrologe romain; nous le célébrons aujourd'hui le 3 Juillet.

[6] Ils s'appelaient Bertrand Rezon, Valentin Rosselli et Jean Gruelli. Le nom du balle est Blaise Ferrussieras.

 

Lo tèxt en occitan montpelhieirenc dau sègle XV "SEQUNTUR PROCLAMATIONES LOCI DE ARSACIO, FACTE ANNO INCARNATIONIS DOMINI MILLESIMO QUADRINGENTESIMO OCTUAGESIMO TERTIO"

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