Joan-Batista Favre presentat per dos felens esperitaus de tria: Xavièr Asemà e Joan Roqueta.

Dos prèires montpelhieirencs, erudits e occitanistas ben coneguts, alestiguèron ensèms en 1983 una pichona bricadura de presentacion de l'abbat Favre. Ne reprenèm lo tèxt aicí. 

1) LES GRANDES ÉTAPES DE LA VIE DE JEAN -BAPTISTE FABRE (1727-1783)

per Xavièr Asemà

L'homme qui a, au XVIII° siècle, le mieux illustré le parler montpelliérain, n'était pas né - natif du " Clapas"!

Il est né, le 28 mars 1727 à Sommières, où son père exerçait Ia fonction de régent des écoles, métier honorable, sans doufe, mais à l'époque peu rétribué. La femme de Claude Fabre a, quant à elle, la responsabilité de l'école des filles. Un couple "d'instit", en somme, comme on en trouve encore pas mal d'exemple aujourd'hui. Venus à Sommières parce qu'il y avait cette double régence de libre, les Fabre étaient cependant montpelliérains d'origine, vraisemblablement du quartier du Plan de l'Om, tout proche de Saint-Pierre; les ascendances des deux époux sont populaires: on y rencontre des porteurs d'eau, des maçons, des cordonniers, des travailleurs de terre.

A Sommières, la famille Fabre vit modestement avec les 210 livres que la municipalité leur verse chaque année; l'aîné des enfants, Etienne deviendra à son tour régent des écoles; Jean-Baptiste, le cadet, faute d'hériter de la "fortune" paternelle, se tourne, comme tant d'autres cadets de ce temps, vers les Ordres.

E)e Sommières à Montpellier

Doué, intelligent, nanti d'une belle écriture, dégrossi vraisemblable-ment par son régent de père, Jean-Baptiste Fabre est tonsuré à dix ans... On le retrouve à dix-huit ans, montpelliérain, philosophe puis théologien au Collège des Jésuites de 1745 à 1751; il revient alors dans son diocèse d'origine pour quelques mais de séminaire et finalement être ordonné prêtre le 27 mai 1752, à Nîmes, dans la chapelle des Pénitents.

Peu après commence son ministère en paroisse rurale. Dans le diocèse de Nîmes, d'abord, à Aubais où il restera comme vicaire (l'on disait alors " secondaire") jusqu'en août 1755. Il semble bien, d'après les témoignages de l'époque que Fabre ait, d'emblée, su prendre ses paroissiens, leur plaire et se faire aimer d'eux: il se montra déjà prédicateur estimé (en français et en languedocien) plein de sollicitude pour ces paysans qu'il n'idéalisait pas mais qu'il aimait simplement. C'est d'ailleurs un tableau réaliste que nous livre Fabre dans sa première oeuvre occitane, L'Opéra d'Aubais, comédie d'amour de jeunes paysans contrariés par de vieux parents; finalement la jeunesse triomphe bien vite des calculs étriqués des parents; il y a dans cette comédie bien enlevée le meilleur de la veine burlesque de Fabre; à cette même époque, il élabore sans doute aussi la première version de Joan-l'an-près, petit roman qui est assurément son chef-d'oeuvre.

Là encore, il nous raconte sur un ton délibérément désinvolte le destin tragi-comique de son héros, tout en évoquant, en observateur amusé, les travers et l'honnête bon sens du monde rural, paysans et petites notabilités locales qu'il met en scène. En 1755, Fabre quitte Aubais et le Diocèse de Nîmes pour Vic-la- Gardiole, au Diocèse de Montpellier. Désormais c'est tout autour de la ville, que l'abbé Fabre va exercer son ministère jusqu'à sa mort en l783. Vic, village pauvre en bordure des étangs où rôdait la malaria, ne garda pas longtemps son jeune curé ; à peine, quelques mois ; il est nommé alors à Castelnau, paroisse plus importante, plus proche aussi de Montpellier ; toute la famille de l'abbé paraît s'y être retrouvée, père, frère et neveu, dont les signatures apparaissent au bas des registres. Castelnau n'était pas une paroisse facile : le cabaretier, Martin accueille trop volontiers soldats en goguette et demoiselles aux mœurs faciles ; il faut réagir, quitte à se faire des ennemis ! D'autres paroissiens ont la critique facile : une régente, nouvelle convertie est victime de leurs calomnies ; Fabre doit intervenir en sa faveur auprès de l'évêque de Montpellier. Peut-être ces difficultés expliquent-elles, en partie, la peinture sans complaisance que fait notre curé des habitants de Castelnau dans sa deuxième comédie Lo Tresaur de Substancion : le rocher de Substancion s'ouvrira-t-il ou non, la nuit de la Saint Jean pour enrichir de son trésor les amoureux du village ? Il y traite ses paroissiens d'" Engença ladra e de pauc de cervèla " et de " Tòni " c'est-à-dire de niais,


" dins cada ostau, se sabe ben comptar
" N'avem au mens un que l'òm pòt citar.


Faisons la part, sans doute, de la " vis comica " et constatons que les Castelnoviens, tout de même, n'ont pas gardé un mauvais souvenir de leur pasteur. Il est vrai que, durant l'année scolaire 1762-l763 ils ne le virent guère, puisque il passa le plus clair de son temps à Montpellier, comme professeur de rhétorique au Collège d'où les Jésuites avaient dû partir.

Prédicateur diocésain

En 1765, cependant l'abbé Jean-Baptiste Fabre est nommé curé-prieur du Crès ; il y resta trois ans et demi ; c'est pendant son séjour au Crès que meurt Mgr Renaud de Villeneuve, l'évêque de Montpellier ; Fabre est chargé de prononcer son éloge funèbre, dans la chapelle de l'Hôpital Général, signe qu'il est alors un prêtre connu pour son éloquence et sans doute aussi pour l'estime où le tenait le prélat défunt. Il met aussi la dernière main à son Odysséia travestida, parodie en vers du poème homérique ; à côté de longueurs cette œuvre recèle maints passages truculents et bien enlevés, parfois un peu gros où les dieux du paganisme sont vertement malmenés !


Les dernières paroisses de l'abbé Fabre l'entraînent encore entre
Lez et Mosson en passant par les bords du Coulazou. Saint-Michel-de-Montels, Cournonferral, Celleneuve enfin occupèrent les ultimes années de ministère, entre de 1769 à 1783 années fructueuses encore du zèle quotidien auprès de ses ouailles. Cournonterral avec plus de l000 paroissiens fut sa plus importante paroisse, en bonne partie formée de " nouveaux convertis", c'est-à-dire en fait de protestants. Mais les loisirs rares que laissait le ministère ont donné quelques œuvres impor1antes, en oc et en français. Lo Sèti de Caderoussa, pièce burlesque en vers qui prend pour prétexte la petite guerre pour le ravitaillement en grain mené dans le Comtat Venaissin pendant la famine de l709, mais aussi poème en français, Acidalie ou La Fontaine de Montpellier, en l'honneur de l'Aqueduc des Arceaux ; ce fut la seule oeuvre de Fabre imprimée de son vivant, en 1777. Du séjour à Cournonterral encore Les Réponses précises aux questions du prétendu licencié Zapata, réponse apologétique à un pamphlet de Voltaire, Fabre tenait beaucoup, semble-t-il, à cette œuvre.

L'idole de ses paroissiens

Les changements nombreux de paroisses que l'on constate dans la vie de notre bon curé ne proviennent pas d'une incoercible bougeotte, mais dans la dernière partie de son ministère du désir d'un bénéfice assez important pour pouvoir grâce à lui soutenir la carrière militaire de son neveu et filleul qu'il avait en charge, depuis la mort de son frère Etienne. Ce souci domestique qui peut nous surprendre était considéré comme tout à fait normal, à l'époque ; en tout cas, il fut pour l'abbé Fabre une source de souci et de démarches où il nous révèle d'ailleurs un cœur très sensible jusqu'à la tendresse. En définitive, le chevalier de Saint-Castor, ainsi se fit nommer le neveu pour mieux faire carrière, partit pour l'Amérique avec sa femme, laissant aux bons soins de son oncle sa toute jeune fillette. L'abbé Fabre était alors curé de Celleneuve, poste qu'il avait obtenu malgré un concurrent tenace. Il s'était fait très rapidement aimer de ses paroissiens, il était " leur idole " disait-il lui-même, en souriant. Et il leur rendait bien cette affection. Un soir de février, appelé au chevet d'un mourant, alors qu'il était lui-même convalescent, il prend froid et rechute ; le 6 mars l783, il meurt ; il est enterré le 8 dans la vieille église romane Sainte-Croix de Celleneuve.

Ainsi s'écoula de cure en cure, de la Vaunage au Montpelliérais, la vie de celui qui fut, " après les Troubadours, l'écrivain occitan majeur, jusqu'à la Renaissance mistralienne " (Emmanuel Le Roy Ladurie). Il est aussi, pour nous un prêtre vraiment attaché à ses paroissiens, même s'il reconnaissait leurs petits côtés, un pasteur qui savait parler leur langue, dans tous les sens du mot, c'est-à-dire qui savait que, pour être un pasteur il faut d'abord vivre avec, bien connaître, pour bien aimer et pour bien faire connaître Celui qui nous a sauvés par amour.

Xavier AZÉMA



L'ABBÉ FABRE,
OU LE RIRE AU SERVICE DE DIEU
per Joan Larzac

Si trop sérieux, s'abstenir.


Inutile de lire ces pages si vous attendez la révélation d'un grand penseur religieux ou d'un poète édifiant. Fabre, c'est Fabre. Ou vous appréciez la gauloiserie de son Sermon de M. Sistre ou vous revenez à l'imitation. Maintenant, si ça doit vous consoler, on peut vous fournir les preuves que notre abbé n'avait pas la sainteté trissée. Cela ne l'empêcha pas d'être un homme de convictions. Vous serez même peut-être étonné de découvrir à quel point il s'engagea dans les conflits de son siècle, pour l'honneur de la foi catholique. N'importe, ce qui compte avant tout, c'est que " sa vida èra edifianta ". Sans aller chercher ses aumônes - il disait lui-même que " dels devers de son estat la plus grand es la caritat " - ou le zèle pastoral qui lui fit contracter une maladie mortelle en se rendant au chevet d'un mourant, je ne retiendrai que son sens du pardon. D'un confrère qui le desservait avec acharnement à l'Evêché, ne disait-il pas : " II y réussit, mais je prie Dieu de bon cœur qu'il veuille bien le lui pardonner, peut-être croit-il bien faire ".
Qu'un tel chrétien ait eu cette vis comica, qu'un auteur aussi désopilant ait été aussi plein d'amour de Dieu et de son prochain, voilà le trait décidément qui me semble ad majorem Dei gloriam !

Ennemi du fanatisme religieux


Homme de grande foi, l'abbé Fabre se rencontre au moins avec ses adversaires philosophes sur la condamnation de tout fanatisme. L'une de ses maximes ne dit-elle pas : " Tous les excès sont vicieux, celui du zèle même pour la vraie religion est condamnable " ? On ne s'étonnera donc point de trouver parmi ses manuscrits l'édition qu'il avait préparée de la " Courte narration de la destruction des Indes Occidentales ", où Barthélémy de las Casas dénonce les procédés barbares des convertisseurs du XVI' siècle : " Sous prétexte de faire connaître la foi chrétienne à ces pauvres nations, on les a volées, ruinées, égorgées, sans leur en dire un seul mot ; l'unique but que se sont proposés les Espagnols en immolant sans raison et sans pitié font de peuples innocents a été de ramener de l'or, de s'enrichir en peu de temps et de s'élever par là aux grades les plus éminents et les moins convenables à l'ignorance et à la bassesse de leur personne. En un mot, l'avarice et l'ambition ont armé leurs mains ".

Fit-il le rapprochement avec la Croisade contre les Albigeois, qui livra l'Occitanie à la même fureur intolérante et aux mêmes convoitises territoriales ! Pour qui en douterait, voici un extrait du " Siège de Caderousse ", où les conseillers religieux de Simon de Montfort sont pour le moins ridiculisés à travers les dominicains partisans au XVIII siècle d'affamer Caderousse pour parer à la crise frumentaire dans l'Avignon pontificale :


Anem, bèn, vejam dins la clica
Dau generós sont Domenica
çò que pensa dins aquel cas
Lo truchamand de Sant Tomàs.
Aimable coma fu Pilata,
Pèra Ambròsi, en auçant la pata
" A !, ço ditz, ont ère autras fes
Per fricassar los Albigés !
Los auriái reduits en purèia
O manjats en galimafrèia,
Se m'ère sentit l'apetís
Que me devòra per aicís...
Fau, per vòstra glòria otratjada,
Far faire una santa crosada,
Armar contra eles Avinhon
E i anar demandar rason.

Comme le fait remarquer l'auteur, quand le ventre crie, l'esprit ne va pas consulter " ni Scot, ni Lombard, ni Thomas ", et

Lo charitable Pèra Ambroèsa
Comencèt de prechar la noèsa
Embé la graça e l'onccion
De la Santa Inquisicion.

Doit-on rappeler que le XVIII° siècle avait vu chez nous la guerre des Camisards, l'affaire Calas (l762), et que l'édit de tolérance n'interviendra que quatre ans après la mort de Fabre ? Son héros, Joan l'An Pres, est chargé de représenter le cynisme de toute une société : " Ma grand èra deganauda. Son enterrament me costèt pas que quauques còps de picon dins un valat, e ieu seguère l'enterraire, la clèrgue e la capelan. Dire que la phanhiguère pas, Monsur la Baron, vos mentiriái, la planhiguère. Non pas benlèu mai que de rason, per tau que me laissava quicòm e que ganhava pas pus res ; mas la planhiguère per drech e per mesura. Quand comprenguère, a pauc près, que l'aviái planhida çò que caliá, la pausère tot de son lòng dins la paradís dels ases, e venguère a l'ostau per dejunar... " En lisant cette page d'humour noir, il ne faut pas oublier cette pensée de notre abbé : " Ce zèle mal entendu est une source féconde de désordres et de confusion, il tend à produire le schisme, excite la pitié du sage, cause les blasphèmes de l'impie, fait le malheur de l'Église ".

 

Le satiriste du clergé

L'oeuvre apologétique de l'abbé Fabre ne souffre en rien des flèches acérées que le poète satirique décoche en direction de ses confrères. On ne peut lui reprocher de défendre hypocritement le corps ecclésiastique C'est la Religion qu'il défend. Qui s'en douterait pourtant en lisant le Siège de Caderousse, où l'on voit ridiculisé pour commencer le propre vice-légat du pape, affairé entre la table et les cabinets. Ne parlons pas des soldats du pape, ces " pétaches " si courageux qu'ils restent prudemment sur place pour prier Dieu " tout le jour, pour l'armée et pour son retour " !
Mais voici les frères mendiants à fausse barbe :

Mas vos faliá veire lo trin
Que menava un autre mutin
Per la barba emb tant de colèra
Rebalava un Reverend Pèra,
Que se lo pèu avia tengut,
Alorre e peu, tot serid vengut.
Per bonur la santa crinièira
Era d'una borra estrangièira.


les chanoines,

Los canonges, que d'ordinari,
Son pus gras que lo necessari

et les moines à l'engrais :

O temps urós ! Ancians spectacles !
Ventres pus gròs que de basacles !
Bèls marres a triple barbòt !
Triomfe benit dau fricòt !
De qué sètz devenguts, pecaire ?
Elàs ! Adonc la mendre fraire,
Un clèrc que servissiá l'autèl,
aviá la pança d'un vedèl !


Puissance temporelle du pape, notabilité ridicule du clergé pouilleux font plutôt rire :
" Vos dirai, monsur, que soi nascut a Solòrgues, non pas d'una grand, grand familha, se volètz, mas pro passabla per l'endrech. Mon paire i plantèt pè-bordon, e i levèt botiga de repetaçaire ambé l'aprobacion de las puissanças, c'est-à-dire dau cònsol, dau marechal, e d'un capuchin que i
venia faire totes los ans la quista de l'òli ".


Mais l'inégalité même entre curés et vicaires prête à un ton plus grinçant. L'Enéide nous parle

... d'una cura
d'onte un prestolet a tonçura
se signa curat primitiu.
Lo galhard es fòrt atentiu
a ben deimar sus lo terraire
e joïs de tot sens res faire.
Dison alai que lo poilàs
Pòt pas marchar, de tant qu'en gròs.
Tandís que la curat vicari
Non es qu'un mòtle de susari.


Le curé de Celleneuve avait certainement souffert de voir l'avancemen rapide de confrères qui n'avaient ni son zèle ni ses difficultés financières :

Sous un roi juste et chrétien
Grand Dieu ! Votre seule Eglise
Prend hélas pour sa devise :
" Qui ne fait rien a tout et qui fait tout n'a rien ! "

Abbés de luxe, auquel un héros de l'Enéïde aime se voir comparé :

" Mas, en contant aquela istoèra,
Tròbas-ti pas qu'ai pres un ton
Plen d'elegonça emai d'onccion ?
Qué dises, charmanta Climèna ? "
- " Ai ! Semblatz lo Pèra Bridèna
Quand prechava sus un taulièr ! "


Voici la loterie des

Cargas, dignitats, benefices,
Berretas, capèls e roquets,
Abits roges, abits violets,
Aumussas moiènas o grandas,
Cròssas, mitras e comandas.

Où est la foi dans tout cela ! " Nos ecclésiastiques trouvent tant de dégoût à enterrer les autres gens, qu'il n'y en a pas un seul qui soit tenté de se mettre encore à leur place. Nos vieux ont tant parlé de l'éternité dans leur vie, ils se sont tellement familiarisés avec ce mot-là, qu'ils semblent s'être emparés ici-bas de la chose qu'il signifie. Je crois qu'en vérité ils ne sont pas aussi amoureux des délices du ciel qu'ils veulent le faire entendre, et que dans le fond ils ne sont pas fâchés que Dieu les laisse gémir si long temps dans cette vallée de larmes, malgré tout le mal qu'ils disent d'elle ". Voilà du Fabre qui sent son Voltaire. Et pourtant...


L'anti-Voltaire

L'abbé Fabre aurait souhaité être déchargé par son évêque de certaines responsabilités pastorales, afin de pouvoir se consacrer " à jeter la honte et les alarmes dans le camp de l'iniquité " : " Souffrez que de l'erreur dévoilant l'artifice, ma main, ma faible main en crayonne les traits : Exhalé du sein de l'abîme, un monstre cent fois plus hideux que celui dont la forme effraya nos ayeux sort, et vient assouvir la rage qui l'anime ".

Au premier rang de ces Philosophes, Voltaire. Notre poète lui ressemblait assez, par l'esprit, par l'art de manier l'ironie d'une prose limpide et allègre, pour avoir reconnu en lui un adversaire à qui se mesurer. Le solitaire de Ferney n'aurait pas renié au moins le style de cet épitaphe :


Ci-gît Arouet de Voltaire
Des Philosophes l'Amadis.
Si son âme est en Paradis
En quoi l'enfer serait-il nécessaire !
Il eût pu justement le traiter de chimère,
et l'univers entier ne l'eût pas contredit.

Il aurait peut-être goûté l'allusion à son œuvre introduite dans l'Odissèia d'Omèra, où la reine Arété

Aviá pintrat en miniatura
De bèus portrècts còntra natura
Copiats, dison, d'un autur
Que fai lo mestièr de mentur,
E que, tot vièlh qu'es, nos regala
D'una joina e lèstra morala.
Son bizarro Micromegàs
Ni son vertuós Barabbàs
Fasián pas portant granda mina
Dins aquela pintura fïna.
Neron n'èra pas acabat
E Julièn èra mancat.
Segur qu'Areta s'enuiava
Das pauretats que copiava.


Mais le polémiste n'est pas tout à fait à son aise quand, privé des ressources du comique, il se voit obligé d'opposer av persiflage des Questions du Licencié Zapata (pseudonyme de Voltaire) le sérieux que réclament ses Réponses. Il lui arrive certes de manier habilement l'argument ad hominem : " Cette seconde question sent moins le licencié que le licencieux, le chrétien modeste et raisonnable que le philosophe effréné, moins l'Espagne que les bords infestés du Lac Léman ". Mais le ton moqueur fait vite place à l'indignation : " Après avoir confondu la moderne Ethiopie avec les anciennes, pris le Phésus et le Géhon de la Genèse pour le Nil et le Phase sur la foi de gens mieux intentionnés que lui quoique peut-être aussi peu éclairés sur cette matière, Zapata se croit autorisé à reprocher à Dieu même son ignorance ".


Malheureusement Jean-Baptiste Fabre n'est pas Richard Simon, et malgré toute l'érudition qu'il oppose à Voltaire, il ne saurait convaincre le lecteur d'aujourd'hui. Il aurait fallu aborder l'exégèse scientifique dont la science naissait à peine pour donner une véritable réponse aux objections tirées des contradictions de l'Ecriture. Et pourtant, si la riposte de Fabre est  surtout un témoignage de sa foi, il lui arrive de toucher juste. 

Ainsi lorsqu'à l'argument des cruautés effroyables des rois d'Israël il répond : " Cette politique est exécrable et les assassinats ne sont pas faits pour édifier, à Dieu ne plaise qu'on le prétende ; mais si vous parcouriez l'histoire des monarchies anciennes, vous y trouveriez beaucoup plus de cruautés, de meurtres et d'hommes de ceinte espèce : c'étaient des hommes ".

Joan l'An Pres : ni bon sauvage ni bon civilisé

Finalement le romancier occitan prend plus de plaisir à contredire Rousseau qu'à relever les erreurs de voltaire. Il ne pouvait " appliquer un remède proportionné au venin de la plume " du second, ne pouvant jamais oublier " ce que la modestie exige de nous, ni le respect que nous devons à nos lecteurs ", lorsqu'il s'agissait de parler de Jésus. Mais le styliste se donne libre cours, quand il n'est plus question que de démolir l'image idyllique de l'homme que n'a pas encore perverti la société :


Les philosophes, de nos jours,
Me paraissent des fortes têtes.
L'un d'eux, en un endroit, nous met au rang des bêtes,
Et nous confond avec les ours
Grâce aux soins d'un si digne maître,
On pourra voir encor renaître
Cet âge d'or, cet heureux temps
Où les hommes, vrais cannibales,
Ne connaissant ni Dieu, ni vertus sociales,
Ni ce qu'on doit à ses parents,
Et dégagés des remords dévorants
Que font naître nos lois morales,
Se livraient encore, à cent ans,
Aux passions les plus brutales.


L'Histoire de Joan l'An Pres est justement la démonstration que loin de la corruption de la cour décrite par Fabre dans ses Pensées, la nature n'est pas plus pure et exempte du péché originel :
" - Prechatz ben, Monsur la Baron, ben se pòt dire ! Monsur lo curat d'ensajar o endevendriá pas melhor, guand son bòn ange li o bufèsse dins l'aurelha. Mas de qué fai aquò ! Vos comprene pas. Faguetz-me lo plaser de m'explicar, per exemple, de qué son de remòrds. Quau saup ! Benlèu n'ai sens o sentir ".
" - Les remords sont les reproches, les cris de la conscience.
" - Ai ! Capdedís, Monsur ! De qué me parlatz aquí ? Sabètz pas que la consciéncia dels païsans es gamada ? "
" - Que veux-tu dire ! Explique-toi mieux. Je ne te comprends pas.
" - Aquò vòu dire que la consciéncia dels païsans es talament enraumassada que pòt pas grangalar ; e que, s'es que parle, se fai pas ausir. Adissiatz, monsur la Baron. Se jamai passatz a Solòrgues, faguetz-me l'onor de demandar Joan l'An Pres. Vos farai beure un det de clareta de Cauvisson que segur remonta la consciéncia ".

Les paysans des deux comédies de l'abbé Fabre mériteraient les mêmes remarques faites par le Baron : " Je t'ai pourtant obligation de m'avoir éclairé en bien des points sur le caractère et les moeurs des paysans. Les Malotrus ! Qui dirait que sous des dehors de simplicité la moins suspecte, ils fussent capables de la malice la plus réfléchie et la plus profonde ! ". Il faut croire que les ouailles de notre auteur sentirent en lui l'amour pastoral assez fort pour ne pas lui en avoir voulu de les avoir dépeints au naturel à travers un Mèstre Nicòu ou une Dona Rancurèla, qui aime la dispute au point de dire : " Aquò m'engraissa ! ". Aussi bien, Fabre n'est -il pas plus d'accord avec Voltaire, qui veut faire de la religion le gendarme de la société, qu'avec Rousseau, qui l'en veut préserver. Seuls ou en groupe, les hommes ont toujours besoin de Dieu pour être bons, ou plutôt pour le devenir : " Ce qui nous surprend, c'est le ton affirmatif avec lequel vous prononcez que Dieu ne se découvre qu'aux hommes assemblés en société. Je ne connais pas assez les sauvages errants et isolés dans les bois pour fixer la mesure de leur intelligence à cet égard ; mais probablement vous ne les connaissez pas mieux pour justifier votre hypothèse ", est-il répondu à Zapata : " Ce sont des hommes comme vous, et Dieu est leur Père comme il est le vôtre ".


Le goût de l'humanité

C'est finalement une grande santé qui se dégage de toute cette œuvre. Celle de ces exemplaires de l'humanité que la méchanceté ambiante n'arrive pas à entamer, et qui témoigne que la nature n'est pas radicalement corrompue. Il y a parfois chez Fabre un ton de connivence :

E puòi, Cabdet es un garçon fort joine,
Polit, galhard, que vòu pas èstre moine.
De son caquet rejoís Janeton,
E totes dos cantan lo mèma ton.
Sens art, sens vice, instruits per la natura,
Tot bonament aiman la creatura.
Mas que volètz ? S'aquò facha quauqu'us,
L'òm los marida e l'i tòrnan pas pus.

Tout ceci rayonne l'optimisme : " La vie est un vrai bien en ce qu'elle peut conduire l'homme à un autre bien infiniment supérieur ". Il est vrai, " l'abus qu'on en fait peut la rendre un mal réel, qui conduit à un autre infiniment pire ". Mais au fond, ce qui manque le plus à l'homme, c'en pour Fabre l'humanité. Georges Frêche, dans la préface de ses œuvres complètes, a bien raison de saluer en lui " le précurseur qui voulait rendre les sciences " humaines " et le censeur de la peine de mort à tout va : "en son temps de violences et de criminalité, il préféra châtier les moeurs en riant ".

Il ne serait pas outre mesure étonnant que notre abbé ait été franc- maçon, comme Mozart, comme tant d'autres catholiques sincères en ce XVIII° siècle où les idéaux chrétiens de fraternité et de progrès social pouvaient cheminer dans ces cercles éclairés dont l'Occitanie présentait alors le semis le plus serré. Fabre composa une chanson " pour la Loge de S.R. " Il y exalte 1es vertus humanistes. Ces valeurs, d'autres poèmes les prônent de façon pégagogique. Ainsi la fable " Le Mousquetaire et le Maltôtier " s'élève contre l'abus de la prison pour dettes :


Un homme languissait au Fond d'une prison
Non pour crime commis, mais pour de minces dettes,
Que le malheureux avait faites
Dans les pressants besoins de sa triste maison.
Si ses créanciers plus traitables
Au lieu de lui ravir ainsi la liberté
Eussent tiré de lui des travaux profitables,
L'artisan, envers eux, se serait acquitté.
En voici la conclusion courageuse :
La dureté, l'orgueil sont l'odieux partage
De ces loups affamés, l'horreur du genre humain
Qui s'enrichissent par l'usage
De tyranniser le prochain.
Une autre fable s'en prend à La Torture,
Piège affreux que Thémis ne voit qu'avec horreur,
et qui viole tous les droits, outrage la nature,
Et réduit l'innocent, vaincu par la douleur,
à s'accuser lui-même, à devenir menteur.

Dans Le Marchand et les Voleurs, c'est l'usage abusif de la peine de mort qui est condamné : La place de Grève n'est-elle pas à Paris le rendez-vous des voleurs que la vue des exécutions devrait en principe effrayer ? " Qu'on condamne au travail tout voleur... Aux champs et dans les villes, ils exécuteraient bien des projets utiles... et sans égorger de victime, ou l'on ferait cesser le crime, ou l'on enrichirait l'Etat ". Ces principes, et bien d'autres qu'il frappa dans ses maximes à la Rochefoucauld, la biographie de Fabre nous montre qu'il sut les mettre lui-même en pratique. Il défendit par exemple telle " Nouvelle Convertie (du Protestantisme) " à laquelle des personnes bien intentionnées s'employaient à coups de calomnies de faire perdre poste et traitement de maîtresse d'école : " Le témoignage qu'on peut rendre en faveur de l'innocence lésée est un devoir de justice dont aucune considération de nous dispense ".

Un Dieu caché pour vous ne l'est point à nos yeux

Tel était l'abbé Fabre, et l'on s'étonne parfois de découvrir dans le portrait authentique peint par Coustou non point le moine paillard que l'on attendait, mais presque... les traits d'un ascète. On aurait pourtant tort de croire qu'il faille chercher l'autre face, celle du prêtre digne et zélé, dans le versant "sérieux " de son oeuvre. Nous avons vu qu'elle comporte des ouvrages apologétiques, des " pensées "... nous n'oublions pas ses sermons, utile témoignage sur l'éloquence de la chaire dans le Montpellier du XVIII siècle.

Il y a même une pastorale pour le Jour de Noël, où les anges selon la convention parlent français à des bergers occitanophones - erreur que n'a pas commise la Vierge de Lourdes en s'adressant à Bernadette. Il est vrai que sur ce point, notre abbé ne partageait pas l'intuition pastorale d'un des derniers saints récemment canonisés, Mgr Alain de Sominihac, évêque de Cahors, partisan de la prédication au peuple dans la langue du peuple. Fabre n'écrivait l'occitan que par plaisir, lorsqu'il voulait communiquer sa bonne humeur. Ne cherchons donc pas dans son oeuvre des poèmes religieux en langue d'Oc. Mais ses cantiques en français nous livrent-ils le meilleur de lui-même ?

Sous ce voile admirable
Que pénètre ma foi,
Quel mystère adorable
S'opère devant moi...

Le lecteur intéressé trouvera dans un opuscule du Chanoine Villemagne les poésies françaises... et latines qu'a produit la muse religieuse de l'auteur du Sermon de Monsur Sistre :

Organes de l'Esprit immonde,
Infâmes séducteurs du monde,
Un Dieu caché pour vous ne l'est point à nos yeux.
La foi que sa parole éclaire
Perce le voile du mystère,
Qui nous l'offre ici-bas, tel qu'il est dans les cieux.

A franchement parler, le meilleur démenti que le poète occitan ait opposé aux [ricanements des philosophes n'est point dans ces productions où son talent se force à parler la langue des maîtres Je le verrais plutôt dans la preuve administrée tranquillement que la vertu de religion, loin de diminuer l'homme, éclate jusque dans l'art de faire rire à gorge déployée. Un jour l'abbé conseillait à son neveu de ne pas fuir Versailles qu'il comparait à un bal "où il faut nécessairement danser un peu et où l'on risque tout à s'en acquitter à la ruade de nos ayeux " : " Cherchez-y Dieu, mon fils, il est partout... ". Il y a moins d'aventure à le chercher dans l'Odyssée travestie ou l'Enéide de Celleneuve, dans le Siège de Caderousse ou même dans le c... de Simon. Aux gens trop prudes pour être honnêtes je dirais simplement, parodiant le vers déjà cité : " Un Dieu caché pour vous ne l'est point à nos yeux ".

Jean ROUQUETTE


La pagina d'introduccion de l'abbat Favre

INTRODUCCION DE L'EDICION DE 1979 PER ROMIEG PACH

Istòria de Jan l'An Pres, tèxt integrau

Lo sermon de monsur Sistre

Retorn a l'ensenhador dels sègles XVI-XVIII

Retorn a l'ensenhador generau